Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en surface, d’ailleurs : on copiait, avec plus de zèle que de bonheur, des manières ; l’esprit dont elles procédaient était absent. La plupart de ces princes du Nord étaient encore de grossiers féodaux, mais des féodaux sans grandeur ; ils en conservaient l’humeur batailleuse, les lourds appétits, les vices sans élégance. Ils se mouvaient gauchement dans un décor improvisé où ne manquaient pourtant pas les modèles de ces manières qui leur demeuraient étrangères.

La Révocation de l’Edit de Nantes avait eu pour effet de remplir de Français les cours allemandes, celle de Zell, en particulier, où les attirait Eléonore d’Olbreuse.

En cet exil, quelques-uns trouvèrent la fortune, presque tous des emplois importans, dans l’armée surtout.

On n’aimait guère les nouveaux venus, mais on les recherchait ; eux seuls mettaient la note juste, la gaieté légère et spirituelle dans les fêtes incessantes qui prétendaient ressembler à celles de Versailles.

Il n’était pas de famille noble dont les enfans ne fussent élevés par des précepteurs, des « anges gardiens » français. De cette combinaison d’élémens si différens, de cette civilisation à fleur de peau, résultait une corruption de mœurs dont l’exemple venait des princes mêmes.

Ernest-Auguste, fier de sa réputation de galanterie, ne pouvait décemment, pour égaler sur ce point le grand Roi, se passer de favorite déclarée. Son choix ne fut pas heureux. La comtesse Platen, qui tint l’emploi, le remplit avec plus de haine que d’amour.

A Hanovre, tout pliait devant sa volonté ; corrompre était son instrument de domination. Elle en usait jusque dans la famille de l’évêque, dont les fils étaient, par ses soins, pourvus de maîtresses, ses créatures. L’altière Sophie souffrait le tout en silence et se consolait en philosophant avec Leibnitz.

La Platen, mauvais génie de la petite cour, avait une ampleur machiavélique digne de plus vastes scènes : par la perversité froide, patiente et cruelle, cette comtesse du grand siècle était sœur des Dalila et des Hérodiade.

Le théâtre dont elle disposait était petit, mais le drame qu’elle y machina fut de proportions grandioses. Sophie-Dorothée et Philippe de Konigsmarck en furent les héros passionnés et douloureux.