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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/644

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voir et il m’a fait mille amitiés. J’ai joué avec Chauvet et la Beauregard. On a soupe et je me suis retirée sans avoir parlé à personne.

« Bonsoir, je vas me mettre au lit. Que de tristes nuits depuis vostre départ ! Je ne saurois penser aux plaisirs que j’ai eus avec vous et à l’estat où je suis sans une douleur mortelle. Soyez constant, mon cher enfant, tout le bonheur de ma vie en dépend. Pour moi, je ne veux vivre que pour vous. »


Brockhausen, 25 juin/8 juillet.

« J’espérois recevoir de vos nouvelles de Wesel et je suis bien triste de n’en avoir point eu. Je l’attribue à la négligence de ceux qui sont à Hanovre et je ne saurois croire que vous en ayez pour moi. Permettez-moi de m’en flatter. C’est la seule consolation qui me reste, et quand je songe que vous m’aimez, je ne fais plus aucune réflexion sur les malheurs qui me menacent. Je ne veux point vous rompre la teste sur tous les sujets que j’ay à craindre. Le Pédagogue et le Grondeur m’accablent d’amitiés, ce qui me rassure beaucoup. Ils ne m’ont point parlé du Chevalier depuis le jour de mon arrivée. J’en suis surprise, mais j’espère qu’ils sont persuadés de ce que je leur ai dit. J’ai appris hier la mort du frère de La Court, j’en ai esté saisie par rapport au Chevalier. Il se portoit bien, il estoit jeune, cependant il est mort. Vous ne sauriez vous figurer les tristes réflexions que cela m’a fait faire. Je crains pour vous plus que jamais. Si vous m’aimez véritablement, ménagez-vous pour moi, que deviendrois-je sans vous ? Je ne pourrois pas demeurer un moment dans le monde et la vie me seroit insupportable. Il est seur que, depuis vostre départ, je ne mène qu’une vie languissante. Cependant j’espère vous revoir et cet espoir me console. Jugez ce que je ferois si je l’avois perdu, mais je ne veux point me tourmenter par ces tristes pensées. Tous mes vœux sont pour vostre conservation, et nuit et jour le bon Dieu est importuné des prières que je lui fais pour vous. Si vous saviez combien ma passion est violente, vous me plaindriez d’estre si loin de vous ; elle augmente à tous momens, et l’absence ne la diminue jamais. Il est constant que je ne vous ay jamais si tendrement ny si parfaitement aimé, j’ay des délicatesses pour tout ce qui vous regarde au delà de l’imagination.

« Je me fais un plaisir de ne parler à personne. Le Grondeur