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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/645

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et le Pédagogue m’en ont obligation. Ils croyent que c’est pour estre avec eux que je fuis tout le monde, et ils ne savent point que c’est pour vous mieux marquer ma passion et mon attachement.

« On parle d’aller à Ems. Le Pédagogue en a besoin, sa santé est fort languissante, le Grondeur est de la partie. Ils souhaitent beaucoup l’un et l’autre que le Cœur gauche soit du voyage. Faites-moi savoir si le Chevalier le trouve bon. On s’y réglera, on aura cependant de la peine à s’en défendre, mais pourvu que l’on lui plaise, il suffit, et l’on compte tout le reste du monde pour rien. J’ai passé tout le jour chez le Pédagogue. Le Grondeur a esté à la chasse, il n’est revenu que fort tard. A son retour, on a soupé. Il m’a ramené dans ma chambre et ensuite il s’est retiré. Conservez-moi toute votre tendresse. Je ne veux point un cœur partagé. Le mien est tout à vous, il est juste que le vostre soit tout à moi. Mais mon Dieu, peut estre que, dans ce moment, vous n’estes occupé que de vos nouvelles conquêtes, et moi je ne pense qu’à vous. Non, vous n’estes pas capable d’une si noire trahison, vous m’aimez, vous m’avez juré cent fois, je le veux croire et je ne veux pas même en douter. Il est deux heures. Je suis plus à vous qu’à moi même. »


C’est à travers mille obstacles que les lettres de Sophie-Dorothée parviennent à son amant ; les intermédiaires sont dangereux, les communications peu aisées ; par surcroît, les inondations retardent encore les courriers après lesquels Konigsmarck soupire. Son impatience le rend injuste et querelleur. Il connaît le défaut dominant, et si français, de la princesse : une coquetterie instinctive dont elle ne se défit jamais. Il l’accable de reproches : « Votre consolation, au lieu de lire mes lettres, est d’entendre les douceurs des autres... Mon cœur est trop glorios (sic) pour être dupé... je me vengerai d’une façon que toute la terre voira... »


Et la princesse réplique doucement :


Brockhausen, 27 juin/7 juillet.

« Je ne mérite pas les reproches que vous me faites et je ne les mériterai jamais. Je ne comprends pas que vous puissiez m’accuser de négligence et de vous pouvoir oublier, et quand