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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/650

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ailleurs et je ne vous verrai plus. Peut estre la chose est déjà faite, et je suis dans une agitation si grande que je ne doute point que ce ne soit un pressentiment de mon malheur. Cependant s’il vous couste si peu de vous destacher de moy, vous m’avez bien foiblement aimée. Quand le cœur est bien touché, on n’abandonne pas si aisément et l’on se donne du moins la peine d’examiner les choses. Mais je ne saurois me flatter que vous en auriez la patience, vos manières me sont trop bien connues, vous commencerez par rompre tout à fait. Peut estre les réflexions viendront ensuite, mais il sera trop tard et j’aurai la douleur de vous aimer à l’adoration et de voir que vous ne m’avez jamais aimée. Cette pensée est si cruelle pour moy qu’elle est capable de me faire tourner la teste. Adieu, quoi qu’il puisse arriver ; je sais bien que je ne pourrai jamais cesser de vous aimer et vous ferez tout le malheur de ma vie, comme vous en avez fait tout le bonheur. »


Konigsmarck partage d’autant mieux les craintes de la princesse que, lui aussi, a relevé des détails insolites dans les dernières lettres reçues : par exemple elles étaient fermées, non avec le cachet ordinaire, mais par un simple pain à cacheter. Sophie-Dorothée vit dans de terribles transes :


« Il n’y a plus de doute que je ne fusse trahie et que la Perspective ne s’en meslât ; cependant, quoique j’eusse esté perdue sans retour, si cela s’estoit trouvé véritable, je puis vous jurer que je n’y ai pas fait la moindre réflexion et que vous seul me donniez des inquiétudes. Je craignois de vous perdre et j’aurois mieux aimé mourir. Je tremblois que, dans le premier emportement, vous ne vous engageassiez à l’électeur de Bavière, et si vous l’aviez fait, il auroit fallu me résoudre à ne vous voir plus. Rien n’est égal aux douleurs que cette pensée me causoit.

« Que je suis différente aujourd’hui de ce que j’estois hier ; je suis dans une joye que j’ai peine à cacher. Pourquoi suis-je si éloignée de vous ? Quel plaisir d’estre auprès de vous et de vous faire voir par mes caresses que je vous aime à l’adoration ! Au nom de Dieu, soyez-en bien persuadé et ostez-vous de la teste tout ce qui peut vous laisser le moindre doute là-dessus. Surtout n’ajoustez point de foy à tous les sots contes que l’on vous pourra faire. Nous avons mille gens à craindre et dont