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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/684

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paysan. » En vain essayera-t-on de faire comprendre aux gens du monde qu’un agriculteur ne doit pas plus être confondu avec un manœuvre qu’un directeur d’usine avec son ouvrier. En vain répéterez-vous qu’il est tout aussi honorable, — et difficile, — de bien faire pousser du blé que de fabriquer du sucre ou de vendre du coton ! Vous ajouteriez même que la profession d’agriculteur exige, pour être exercée avec talent et profit, autant d’instruction que celle d’industriel, de négociant, ou de fonctionnaire, qu’un cultivateur peut être un galant homme de toutes façons, que sa situation le rend indépendant, lui assure une existence souvent très large, une vie active et saine… Ce serait peine perdue. Le préjugé est là, vivant, majestueux, ridicule… et respecté ! Ah ! s’il s’agissait d’un ingénieur, d’un fonctionnaire, d’un « attaché, » d’un « auditeur, » d’un « inspecteur, » sa position de fortune, son utilité sociale, son indépendance, et, par conséquent, sa véritable dignité d’homme, fussent-elles moins hautes, personne n’hésiterait à le classer dans la catégorie des gens du monde, de ceux qu’on peut « recevoir » et qui ont une « situation. » L’agriculteur n’a pas de situation, et surtout de situation matrimoniale parce qu’il habite… la campagne : il n’est pas coté…

Or, si la bourgeoisie française dédaigne la profession agricole, comment songerait-elle à envoyer ses fils dans une école supérieure pour acquérir précisément des connaissances qui les mettraient en état de l’exercer ?

« Notre dédain est justifié, répondent alors les gens sérieux et graves. L’agriculture ne rapporte rien ; c’est une industrie misérable. Nos fermiers ne nous donnent pas 3 pour 100 de nos capitaux quand nous leur louons nos domaines ! »

Ce raisonnement prouve une ignorance parfaite des questions financières en matière agricole ; ce sophisme naïf, accepté dans le monde comme une vérité, a fait plus de mal à notre pays qu’une épizootie ou que la destruction de nos vignobles par le phylloxéra.

Comment des gens intelligens et soucieux de leurs intérêts laisseraient-ils, en effet, leurs fils étudier l’agriculture pour exercer ensuite une industrie misérable qui ne peut rémunérer largement ni les activités, ni les capitaux !

Fort heureusement, l’opinion acceptée, en France, par tant de gens mal informés, est fausse de tous points. Oui, le capital