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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/694

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emblèmes de vérités, gaies ou tristes et relatives à la pitié, à l’amour, aux larmes, aux inconvéniens de la vie mortelle et au bonheur que bouleverse la pensée. Toutes vérités que le poète Homère négligeait et, au surplus, ne soupçonnait pas ; toutes vérités qui pourtant naissent et fleurissent de son Odyssée, comme, après la mort du jardinier qui planta l’arbuste, le rosier, greffé avec art, donne des roses d’une autre couleur et d’un autre parfum : c’est toujours le même rosier, cependant.

Et c’est toujours la même humanité, depuis Homère (et plus anciennement), jusqu’à nous (et bien après nous), qui modifie et modifiera le thème éternel de la crainte et de l’espérance, de la douleur et du plaisir, du temps si bref. Elle modifie le thème ; et, sous divers aspects, le thème demeure éternellement le même. Une glose nouvelle indique la nuance du sentiment qui orne l’antique rêverie. Ainsi, au tronc durable de l’ormeau, dans la vallée d’Ombrie, verdoie le feuillage nouveau de la vigne, chaque année.

La poésie des contes que M. Jules Lemaître a écrits en marge des vieux livres doit une véritable grandeur à cette idée de l’humanité continue, à la fois docile et audacieuse, docile aux dures nécessités du sort et audacieuse à esquiver les entraves, prompte à aimer, dans son esclavage,


ce que jamais on ne verra deux fois !...


Plus est timide et tremblante la glose qui se détache du texte immuable, et aussi plus est touchant, voire attendrissant, l’effort de liberté de cette petite ramure, jolie et menacée. L’âme d’un jour montre sa nuance à la brutale éternité. Un pétale tournoie à la surface d’une eau orageuse.


L’Iliade et l’Odyssée, l’Enéide, l’Évangile, enfin la Légende dorée, voilà les livres aux marges desquels M. Jules Lemaître a noté premièrement les singularités de son époque. Ajoutons le Zend-Avesta et, bientôt, le Ramayana ; mais il s’évade rarement hors de la tradition gréco-latine et française. « Rêver dans le passé, — surtout dans le passé de la France ! » a-t-il écrit. Le passé de la France est à Rome, Athènes et sur les côtes de l’Asie Mineure où préluda la muse d’Ionie. Et, si M. Jules Lemaître admet, parfois, des étrangers, c’est Boccace ou bien Cervantes, des Latins et quasi naturalisés chez nous. Deuxièmement, il compléta la série de nos étapes. Il s’arrêta aux chansons de geste, à Villehardouin et à Joinville, puis au Pantagruel