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Toujours est-il que nous devons aux épigrammes de Goldsmith le plus beau livre de Kirkegaard. Après Les Étapes sur le chemin de la vie, il avait eu l’intention de se retirer dans un presbytère de campagne. Les attaques du Corsaire lui inspirèrent le violent désir de déclarer la guerre à la société. Il avait toujours prévu « qu’il traverserait le Rubicon. « Mais il était de ceux qui campent longtemps devant ce petit ruisseau, qui viennent y prendre le frais au clair de lune et qui pâlissent quand leur ombre s’allonge jusqu’à l’autre bord. Cette fois, il l’enjamba. Il écrivit L’Entraînement au Christianisme. Ce n’était encore que le prélude à la bataille ; mais ce prélude à lui seul vaut toute la bataille.

L’idée maîtresse est que la Chrétienté a complètement anéanti le Christianisme. Il ne s’agit plus de remonter, comme l’a fait Luther, à la tradition des apôtres. Traditions, histoire, exégèse : des contresens que tous ces mots ! Les preuves de la divinité du Christ que nous fournissent les Écritures n’existent que pour la foi. Elles ne sont donc pas des preuves. L’histoire, qui étale sous nos yeux les progrès et les victoires du Christianisme, ne saurait prouver que le Christ est Dieu. Elle prouve qu’il a été un grand homme et le plus grand des grands hommes : c’est tout. Les conséquences de la vie d’un homme importent plus que sa vie elle-même. Ainsi donc, lorsque, pour connaître le Christ, nous considérons les conséquences de sa vie, nous faisons de lui un homme comme les autres hommes et soumis comme eux à l’examen de l’histoire. Le Christianisme n’a point de fondement historique. À l’intérieur du Christianisme, la théorie socratique est d’une vérité indiscutable. Enseigner, c’est réveiller le souvenir. On n’enseigne jamais. On est simplement l’occasion qu’un autre se rappelle ce qu’il a toujours su. Du moment où nous prenons conscience de la vérité, nous prenons conscience que nous l’avons toujours possédée. En ce qui la touche, un homme ne doit jamais rien à un autre homme. Et le moment historique n’offre ainsi aucun intérêt. Si nous vivons dans le mensonge, ce n’est pas un homme qui peut nous éclairer, puisqu’il lui faudrait en même temps nous révéler la vérité et nous mettre en état de la recevoir. Cela, seul un Dieu peut le faire. Et un Dieu l’a fait, Jésus-Christ a été l’Enseigneur et le Sauveur. Mais Jésus-Christ, l’homme Dieu, est le Paradoxe absolu, l’éternelle Absurdité. Ses contemporains n’étaient pas