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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/79

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aussi vrai que celui dont Pascal entendait, la nuit, tomber « telle goutte de sang. »

C’est le pauvre fils d’un charpentier, né d’une vierge méprisée, sorti de la classe la plus basse, accompagné de douze pauvres disciples sortis également de la classe la plus basse, et ne fréquentant que des publicains, des lépreux, des démoniaques et des pêcheurs. Il ne dit pas, ce qui serait compréhensible : « Venez m’aider ! » ou : « Epargnez-moi ! » ou : « Laissez-moi tranquille ! » ou fièrement : « Je vous méprise tous ! » Il dit : « Venez à moi, vous qui souffrez. » Et il savait que ceux qui viendraient couraient le risque d’être exclus de la synagogue, de perdre leurs biens et même la vie. « Ah ! mon ami, si tu étais sourd, aveugle, infirme ou lépreux, et qu’on t’offrît une aide qu’il te faudrait peut-être payer par l’exclusion de la société des hommes, par des railleries et des insultes sans fin, ne dirais-tu pas : « Merci ! Je préfère garder ma surdité ou ma lèpre ! » Et pourtant il disait : « Venez à moi, vous qui souffrez. » Et il n’avait rien à leur donner, ni argent, ni médicamens, ni abri, rien. Il disait : « Je guéris toutes les maladies. ; » Mais, quand on venait le chercher, il disait : « Je ne reconnais qu’une maladie, le péché. » Etonnons-nous que son invitation ait été reçue comme elle l’a été !

Il faisait des miracles. Mais Kirkegaard observe que le miracle n’est pas pour les contemporains ce qu’il devient dans le recul des temps, quelque chose de très beau qui, rehaussé de tout le résultat d’une vie, frappe l’imagination et la porte à la croyance. Le miracle a sur les contemporains une force singulièrement élastique d’attraction ou de répulsion. Le miracle est furieusement indiscret : il gêne ; il force presque d’avoir une opinion. Ecoutez plutôt comment les gens raisonnables et intelligens jugeaient ce faiseur de miracles. Les uns s’étonnaient qu’un homme si bien doué ne songeât pas davantage à son avenir et continuât de s’entourer de va-nu-pieds, ce qui serait tout au plus permis à un jeune homme désireux de se singulariser. Les autres cherchaient un moyen d’accaparer la science qu’il avait l’air de détenir. « Si on allait chez lui un soir et si on essayait de le faire causer ? » Le prêtre assurait que le Messie attendu ne procéderait pas comme ce révolutionnaire : il commencerait par convoquer le clergé, par lui présenter ses lettres de créance ; et, après ballottage, s’il avait la majorité, il serait