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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/845

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patrie vaincue comme il avait défendu dans la chaire les intérêts de la religion. M. Anatole Claveau, dans les attachans Souvenirs qu’il vient de publier sur l’Assemblée Nationale, nous le montre dans ce rôle, multipliant ses discours pour se faire l’avocat des idées qui lui avaient été toujours chères et, notamment, de la nécessité de ne pas laisser périr les hautes études classiques, c’est-à-dire la rhétorique et la philosophie. La discussion sur la loi du recrutement de l’armée lui fournit l’occasion de répéter à cet égard ce qu’il avait toujours professé. C’est à ce propos que M. Anatole Claveau le peint tel qu’il l’avait vu à la tribune et tel qu’en ces temps lointains, je l’ai vu moi-même.

« Avec sa soutane violette, l’évêque avait fort grand air à la tribune. Sur son rude visage très fier, très régulier, mais qui semblait taillé à coups de serpe dans un tronc de chêne par quelque sculpteur montagnard, il portait la trace de son origine savoyarde. Son large front était coupé d’une mèche de cheveux blancs, qui lui donnait encore du caractère. Il était aimé de la majorité parce qu’il partageait presque toutes ses opinions, et sympathique même à la gauche parce qu’elle voyait en lui un grand évêque, qui, avec une dignité sans jactance, avait bravé les tracasseries du pouvoir impérial comme les exigences de l’invasion prussienne. De tous les prélats français, c’était peut-être celui qui, à ce moment-là, était le plus universellement respecté. Dans le clergé, il tenait certainement la place d’honneur et, même parmi ses adversaires, on ne refusait pas plus la déférence à son habit que l’admiration à sa parole. »

C’en est assez pour mesurer l’autorité qu’avait acquise l’évêque dans le parlement et qu’il conserva tant qu’il y siégea. Je renonce à discuter la question de savoir si, dans toutes les circonstances, son intervention dans les débats parlementaires fut toujours aussi heureuse qu’elle l’avait été lors de son discours pour la défense de l’humanisme. Ardemment royaliste et partisan de la « fusion, » il travailla de toutes ses forces à la réaliser, convaincu que le rétablissement de la royauté était conforme aux intérêts de l’Eglise comme à ceux de la France et parfois peut-être, dominé par sa passion et par sa foi, ne fit-il pas toujours preuve d’une habileté égale à la sincérité de ses opinions. On ne saurait oublier cependant qu’il défendit le drapeau tricolore et usa de toute son influence pour décider le Comte de Chambord à renoncer au drapeau blanc. Il recourut à