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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/853

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jour de mon départ, vous estes si aisé à consoler ? Je ne peux vous en dire davantage, les larmes m’en empêchent.


« Samedi.

« Je n’ai point dormi, j’ai les yeux gros comme le poing. Je n’ose me montrer. La pauvre Knesebeck a pasli de mes inquiétudes ; elle loge dans le cabinet auprès de moi, et je l’ai réveillée à cinq heures du matin. Je suis encore au lit, au désespoir de ce que vous m’avez fait. Cela marque si peu de tendresse que je ne peux me consoler. Je ne m’attendois pas à rien de pareil. Un coup de foudre m’auroit moins surprise, je n’ose vous dire tout ce que je pense de vous. Je suis dans un chagrin mortel. N’étoit-ce pas assez de vostre absence ? Pourquoi m’accablez- vous par des manières si cruelles ?...

« Adieu, monsieur, je vous souhaite tous les plaisirs du monde ; je ne doute point que l’on vous en donne tous les jours de nouveaux. »


Konigsmarck se justifie aisément, mais il affirme, devant la colère de la princesse, que, en dépit de toute politique, il ne reverra plus la Platen, dût-il en résulter sa ruine.

Mais il aurait eu mauvaise grâce en tenant rigueur à son amie d’une humeur jalouse dont, trop souvent, il lui avait donné l’exemple. Il sait des moyens propres à calmer ce tendre courroux ; se sentant à cette heure « très dévot, » le plus clair profit qu’il tire de ses lectures de la Bible est de ne pas rester court pour dire de « douces choses » à sa bien-aimée. Celle-ci, sur le point d’accompagner l’Electrice à Brockhausen, lui laisse entrevoir la possibilité d’une entrevue secrète :


« Dimanche 10/20 juin.

« Je pars dans deux heures pour Brockhausen avec l’Electrice. L’on sera de retour demain au soir. J’ai reçu vostre lettre, elle m’a fait plaisir, et je n’aurois rien à souhaiter sur vostre manière de vivre si vous aviez évité le souper de la comtesse Platen, le mesme jour que je suis partie. Mais je vous avoue que c’est un coup de poignard pour moi. Je vous ai escrit une si grande lettre sur ce sujet que je ne vous en dirai pas davantage. Si vous pouvez vous justifier et me donner de bonnes raisons, vous m’obligerez beaucoup, car je ne souhaite rien