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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/855

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dix fois pour le moins, et j’y aurois répondu avant de me coucher, si je l’avois pu ; mais premier que de vous y répondre, il faut vous dire ce qui s’est passé à Brockhausen. Nous y arrivâmes dimanche à neuf heures. On soupa d’abord, ensuite chacun se retira chez soi. Je fus jusqu’à deux (heures ?) avec mon père et ma mère. Ils entrent fort dans toutes mes raisons et ne sont point contens de la manière dont on en use. Ma mère est tout à fait comme je le souhaite, et si mon père y estoit de mesme, je n’aurois rien à désirer…

« Je perdrois l’usage de la parole sans l’Électrice et Knesebeck, qui sont les seules personnes avec qui j’aie conversation. Nous sommes parties à sept heures et arrivées à onze. J’ai soupé seule chez moi. Je me suis baignée ce matin pour avoir un prétexte de ne point sortir. Je n’ai vu personne et je ne sortirai point de tout le jour. Voilà un compte exact de tout ce que j’ai fait hier et aujourd’hui.

« Il faut présentement répondre à vostre lettre. Je suis fâchée que la mienne vous ait chagriné autant que vous le dites, mais j’avois le cœur si gros contre vous, que si j’avois voulu vous dire tout ce que ma colère m’inspiroit, vous n’en auriez pas esté quitte à si bon marché. Je suis contente de toutes vos raisons. Il suffit que vous m’assuriez que ce n’est qu’une politique ; cependant je donnerois de mon sang pour que vous ne l’eussiez pas fait. Mais ne vous déplaise, comment, avec tout vostre esprit, pouvez-vous faire comparaison du bal de M. Colt, où je n’ai esté que quinze jours après vostre départ, et parce que l’Électeur et l’Électrice y alloient, avec cette affaire icy qui est justement, et c’est ce qui me désespère, deux heures après que je suis partie, et après m’avoir (fait) un adieu si tendre que je ne m’attendois à rien moins que de vous savoir dans une partie de plaisir. Mais n’en parlons plus. Je vous aime, et il n’est pas en mon pouvoir d’estre longtemps fâchée. Devant que vous m’eussiez escrit, vous estiez déjà pardonné. Je suis bien sotte de vous le dire, mais n’abusez point du foible que vous me voyez pour vous et ne me donnez plus lieu de croire que vous estes un fort bon comédien. Cependant ne faites pas la sottise de n’aller plus chez la Platen. Vous savez mes sentimens sur son sujet : il vous est absolument nécessaire de la ménager, et je vous en conjure, au nom de toute ma passion, d’y aller comme toujours. Ce n’est point de la voir