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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/866

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« Plus je lis vostre lettre, plus j’en suis touchée : vous me dites que vous serez obligé d’aller chercher quelque coin du monde où l’on vous donne le pain, afin de ne point mourir de faim. Me comptez-vous pour rien, et croyez-vous que je vous abandonne jamais, quelque chose qui arrive ? Si vous en estiez réduit à cette extrémité, soyez persuadé que rien dans le monde ne m’empêcheroit de vous suivre et que je voudrois périr avec vous. Mais, mon Dieu, ne nous abandonnons point à de si tristes réflexions : peut-être serons (nous) plus heureux que nous ne l’espérons. Aimons-nous toute nostre vie et consolons-nous ensemble de tous nos malheurs. Peut-estre finiront-ils car, comme je vous l’ai déjà dit, je me flatte d’obtenir ce que je souhaite, et d’abord que je verrai la chose en meilleur train, je presserai si fort que l’on sera bien dur si l’on me résiste...

« Mon Dieu, si vous m’abandonnez, je ne veux plus vivre. Que ferois-je dans le monde si vous ne m’aimez plus ? Je n’y suis que pour vous. J’ai bien des grâces à vous rendre des manières charmantes que vous avez pour moi ; je suis sensible comme je le dois et mon cœur fait son devoir là-dessus, mais je crains que si vous poussez la Platen à bout, qu’elle s’en venge. Ménagez-la un peu, mais point trop aussi ; je suis au désespoir de l’excès de ma délicatesse, je vois bien qu’elle me nuira, mais je vous aime si passionnément qu’il m’est impossible d’estre raisonnable. »


Il serait injuste aussi de passer sous silence le suprême sacrifice proposé par Konigsmarck à Sophie-Dorothée : effrayée de tous les dangers qu’elle court à cause de lui, il lui laisse entendre qu’il doit la quitter, et la princesse de s’écrier :


... » Je trouve un endroit dans vostre lettre qui ne me plaît point. Voicy vos propres mots : « Il n’y aura que le danger où je vous vois exposée qui me pourra faire songer à vous quitter, car puisque aucune espérance ne nous reste de vivre jamais ensemble, pourquoi vouloir nous hasarder pour si peu de chose, c’est-à-dire pour se voir vingt fois par an ? »

« Voilà une belle raison pour m’abandonner ! Moi qui me sacrifierois, et tout le monde ensemble, pour estre avec vous, soyez persuadé que tous les périls les plus terribles, et la mort mesme, si je la voyois devant mes yeux, ne me feront jamais