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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/883

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M’aura pris d’un revers de vague pour toujours ;
Je ne sais d’où je viens, par delà ces flots sourds,
De quel continent vaste et bleu sur des mers bleues.
Il me semble, où le vent errait durant des lieues.
Si fleuri de parfums que j’en défaille encor ;
— Ou peut-être, parmi les écumes du bord,
Ne suis-je qu’un varech aussi, qu’une algue pâle,
Où cette eau lactescente à la couleur d’opale
S’est condensée en forme humaine au long des ans
Et qui va se dissoudre après quelques jusans ; —
Mais je suis là, je suis, je vis ! rien ne peut faire
Que je ne sois devant l’ample et mouvante sphère
Comme un point stable où s’est contracté l’infini ;
Et même ce monde âpre, énorme, désuni.
Tumultueux, qui m’enveloppe et qui me noie,
Sorte de grande roue obscure qui tournoie
Avec chaque horizon pour liquide moyeu.
Pendant quelques instans, seul et faible, au milieu
Des embruns qui déjà me baignent jusqu’au ventre,
Ce monde, sur mon roc étroit, j’en suis le centre !


LILAS


Les maisons allongeaient leurs ombres, une à une,
Sur la grand’route vide où tout pas était mort.
Le vieux parc se taisait dans ses murs ; mais au bord
Un flot de lilas blancs déferlait sous la lune.

Ah ! pour dire l’argent nacré de ces rameaux,
Le sommeil suspendu de leurs gerbes fleuries
D’où les odeurs sortaient comme des rêveries,
Il n’est point d’assez beaux ni d’assez pâles mots !

Les grappes débordaient du haut mur romanesque
Hors des balustres ronds qui ceignaient le jardin ;
Leur odeur était si suave que soudain
Nous nous tûmes, fermant les yeux, en larmes presque…