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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/892

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Mais il y en a d’autres bien difficiles à surmonter. J’en parlais avant-hier avec la duchesse de Dino, et voici ce qu’elle me dit à ce sujet :

— Je viens d’écrire à lady Cowley pour l’engager à faire tout au monde pour ne pas venir à Paris, car sa position en ce moment y serait intenable. L’Angleterre devrait envoyer ici un garçon qui, en cette qualité, ne serait pas obligé de tenir maison ouverte. Je sais, de très bonne part, que l’on a de fortes préventions à Paris contre lady Cowley. Toutes les personnes à qui j’en ai parlé lui sont hostiles ; je me suis disputée, je l’ai défendue autant que j’ai pu, mais je me suis aperçue que mes efforts étaient inutiles.

— Il me semble pourtant, dis-je à la duchesse, qu’avec une grande politesse, une grande prévenance pour la société, lady Cowley pourra vaincre cette malveillance.

— Vous ne savez pas ce qu’est Paris, mon cher comte ! Tenez, je me donne comme exemple. Je suis en France depuis plus de vingt ans, dans une position qui devrait faire croire que je suis au-dessus des préventions ; eh bien ! je ne les ai point vaincues ; je suis toujours considérée comme une étrangère et, si parfois j’ai cru avoir pris racine, on m’a bien vite prouvé que je me trompais. Pour tout le monde, et même pour les personnes de la famille dans laquelle je suis entrée, je suis une étrangère. N’ai-je pas raison, monsieur Duchâtel [1] ? demanda la duchesse à ce dernier, qui se trouvait là. Vous connaissez ce pays comme moi ; n’est-il pas vrai qu’on y est ignorant et malveillant ?

— Oui, madame la duchesse, vous dites la vérité. Notre ignorance et notre vanité sont excessives.

— Mais revenons à lady Cowley, reprit Mme de Dino. En arrivant ici, elle ne devra voir que la société officielle, les ministres, les dames de la Cour et celles qui vont aux Tuileries ; elle s’ennuiera prodigieusement, car ces dames sont de bien triste compagnie : — pardon ! monsieur Duchâtel ; — elle s’ennuiera donc, bien heureuse encore si, à ce prix, elle n’a pas de désagrémens.

— Ce que vous craignez, madame, me parait impossible,

  1. Le comte Tanneguy-Duchâtel, homme politique et publiciste. Député en 1833, il fut plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe et notamment dans le dernier cabinet Guizot.