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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/895

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demander un congé. En somme, on trouve que, depuis quelque temps, les rapports avec la Russie ont sensiblement changé en mal pour le Cabinet des Tuileries.


Mercredi des Cendres. — Vrintz, Esterhazy, Teleki et moi nous quittâmes le bal de la baronne de Meyendorf à trois heures, pour nous rendre tous dans l’appartement de Teleki, où nous changeâmes nos habits contre un costume de Paillasse, avec d’énormes favoris et moustaches attachés à un nez d’une longueur prodigieuse. Ainsi arrangés, nous allâmes au bal masqué qui se donne au bazar de la rue Saint-Honoré. Local immense, orchestre superbe, société bourgeoise lestement folle, mais pas crapuleusement dévergondée comme aux Variétés, au théâtre du Palais-Royal, à la Gaité, à l’Ambigu, aux Funambules, à la Porte-Saint-Martin et autres. Qu’on se figure un immense parallélogramme, flanqué d’un côté par une colonnade qui règne sur toute sa longueur et qui le réunit à une vaste rotonde. Telle est la salle dans laquelle j’ai vu, tour à tour, les exercices à cheval de Franconi, puis un bazar établi ; où j’ai assisté à une messe, entendu un sermon, un catéchisme de l’Eglise française par l’abbé Châtel et enfin m’y voilà au bal masqué, à la place d’où j’ai vu un pseudo-évêque, avec crosse et mitre, entretenir, du haut de sa chaire, ce peuple pieusement recueilli, écoutant sa doctrine, tout comme il écoute aujourd’hui avec enthousiasme un magnifique orchestre remplaçant la chaire. Mais, comme si l’on avait voulu conserver un souvenir de l’Eglise française dans ces lieux voués aujourd’hui aux plaisirs du carnaval, l’orgue, qui accompagnait les cantiques et les psaumes, gronde à travers tous ces instrumens, avec sa voix de basse-taille plus basse que toutes les contrebasses, crie, siffle d’une manière plus pénétrante que tous les flageolets, que tous les cornets à pistons, et ajoute ainsi à la valeur de chaque instrument : il les soutient, il les augmente.

Une trentaine de jeunes gens ou de ceux qui, malgré leur âge, veulent passer pour tels, une trentaine, dis-je, et de ma connaissance, s’étaient réservé une estrade. L’un d’eux, de qui je me fis reconnaître, nous prit sous sa protection et nous plaça au milieu d’eux. Du haut de cette estrade, on encourageait les danseurs du chahut par des applaudissemens et des bravos. Il est vrai que nous avions sous les yeux les plus distingués, les