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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/896

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plus habiles de toute la salle, qui s’y étaient donné rendez-vous. Ils exécutèrent cette danse avec toute la décence que leur imposait la présence du commissaire de police en écharpe tricolore, mais, en même temps, ils trouvèrent moyen d’indiquer tout et de s’arrêter juste à la limite de la vérité. Comparé à celui que l’on danse à l’Ile d’Amour, au Grand Saint-Martin et ailleurs, celui-ci a été à l’eau de rose : un chahut de bonne compagnie.

Néanmoins, nous eûmes un paillasse qui, un genou en terre, le buste renversé, une main sur le cœur, faisait l’aveu de ses transports à son vis-à-vis, une poissarde aussi souple, aussi leste que lui, affectant la naïve ignorance d’une villageoise et baissant pudiquement le regard, tout en répondant avec des gestes non douteux. Tout fut mis en scène, depuis la timidité d’un premier aveu jusqu’à la joie de la passion, jusqu’à la satiété, dernière figure qui consiste en un geste dédaigneux et un brusque retour en arrière ! Cette danse me rappelle le fandango, que j’ai vu danser en Espagne. Ici comme là-bas, tout est grâce dans les poses merveilleusement expressives.

La dernière figure de cette contredanse burlesquement voluptueuse fut dansée à la saint-simonienne, c’est-à-dire en galop avec changement de danseuse. Puis tous les couples de la salle se confondirent et partirent à la fois sans ordre, pêle-mêle, se poussant, se heurtant, criant, jurant, chantant et parcourant ainsi l’espace, semblables à un torrent qui entraîne tout, renverse tout. Qu’on ajoute à cela un effroyable vacarme, une poussière qui enveloppe tout, obscurcit tout, et enfin pour finale un coup de pistolet !

En quittant ce bal, nous nous sommes rendus à celui des Variétés. Si la foule était grande dans la salle que nous venions de quitter, c’était bien autre chose encore aux Variétés. Le théâtre, la scène, la salle, les loges, les corridors et le foyer étaient combles. Nous fûmes poussés et repoussés deux fois par la foule qui entrait et le reflux qui sortait. Nous dûmes prendre nos places d’assaut. Il faut voir là le peuple parisien régner dans toute sa gloire, avec une liberté entière, sans surveillance de police, car il n’en souffrirait pas dans l’intérieur de la salle ; c’est son domaine, tout doit se régler d’après lui, il est despote ; il veut non seulement ne pas se gêner, mais il veut que tout le monde soit comme lui, qu’on adopte ses vêtemens, ses manières ; il ne