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Toutes les conversations du jour roulent sur ce procès monstre, nom que lui donne l’opposition et qui est assez généralement adopté. J’ai dîné hier chez la marquise de Bartillat avec Valazé, Berryer, Mortemart et autres. Ces messieurs, d’opinions différentes, après beaucoup de discussions, se sont trouvés d’accord pour reconnaître que ce procès soulève des difficultés inextricables.

Le général Valazé siège sur les bancs de l’extrême gauche ; il vote contre le gouvernement dans le sens républicain ; c’est lui qui a proposé et fait adopter l’amendement relatif aux vingt-cinq millions que la France doit payer aux États-Unis, et qui demande des explications de la part du président Jackson. Valazé a des manières charmantes, tout à fait gentleman. Il parle avec élégance et facilité.

M. Berryer a toute la volubilité, toute la justesse d’expression et la clarté persuasive d’un avocat et d’un homme de tribune ; il a une mémoire prodigieuse, se rappelle tout, et au moment opportun, pour rapprocher les faits, et cela si judicieusement qu’ils frappent ses auditeurs et leur arrachent des décisions souvent contraires à la justice. Malgré cela, il n’aura jamais une grande influence sur l’opinion publique et sur le gouvernement ; c’est un homme de grand talent, mais dans le fond sans opinion quelconque. Il s’est trouvé comme par hasard lancé dans le parti carliste, il défend cette cause comme un avocat défend celle de son client ; il est vrai que, s’il n’est pas un homme d’Etat, belle est la cause qu’il défend, puisque c’est celle de la légitimité.

Le duc de Mortemart a bien moins de talent que Berryer et pourtant son influence sur l’esprit public est plus grande, par la raison qu’il défend sa propre cause et qu’il parle avec conviction.

J’ai écouté avec plaisir et intérêt cette discussion, vive, chaleureuse et remplie de détails curieux sur le gouvernement de Juillet et sur ceux de Louis XVIII et de Charles X. Berryer, tout en parlant dans le sens du plus pur carliste, défendait cependant les théories et les actes des accusés d’avril, tandis que Valazé, tout en défendant les doctrines républicaines, désapprouvait hautement tout ce qui peut ébranler la société, tout ce qui peut porter atteinte au respect qu’on doit à la loi. Berryer parlait donc en avocat, ayant pour seul but de renverser le gouvernement de Louis-Philippe, mission dont il a été chargé par