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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/930

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de Paris : cela pour l’édification de Monseigneur. D’autres se guindent à des allures comme il faut ; lui, il étale sa mauvaise éducation et il en ajoute. Il est peuple et au-dessous. Il brode des variations sur ce thème : « C’est de la canaille, eh bien ! j’en suis. » Ce boniment joyeux et effrayant, puissant et cocasse, finaud et ingénu, où il y a du maquignon, du commis voyageur, du pitre, du camelot, de l’enfant terrible, du bon enfant et de l’enfant, produit un effet énorme. Il électrise les invités et il campe devant nous le bonhomme en pleine lumière. Nous avons de Pétard plein les yeux et plein les oreilles.

Toutefois, et par des moyens justement opposés, il est quelqu’un qui, à côté de lui, n’a pas laissé de se faire remarquer et d’attirer notre attention. Pétard nous a étourdis par son incoercible déballage : Hélène Lacan nous inquiète et nous intrigue par sa réserve, sa discrétion, ses demi-mots et ses demi-silences, et ce je ne sais quoi de mystérieux dont s’enveloppe son énigmatique personne. Elle est la fille de petits bourgeois qui habitent le voisinage. Elle a été séduite par Philippe de Persanges, c’est-à-dire, comme elle tient à le préciser, qu’elle s’est donnée à lui, pour se donner, et non du tout pour s’en faire épouser. Cette jeune personne qui aime l’amour, n’a pas moins de goût pour l’argent. Elle s’en vante, et, sous nos yeux, elle accepte de la fille de Pétard, Lucie, un collier de perles dont la valeur marchande excède sensiblement le petit cadeau qui entretient l’amitié. A la fin de l’acte, Hélène se ménage avec Pétard une entrevue qui est une rencontre et croise avec lui quelques ripostes, comme on croise le fer. Voilà les deux adversaires, et l’issue de la lutte ne saurait être douteuse. Pétard est un gros morceau : nous ne doutons pas qu’Hélène, de ses dents avides, n’en fasse qu’une bouchée.

Ce premier acte est brillant, varié, divertissant, et quoique d’une longueur un peu anormale, on l’écoute jusqu’au bout charmé, amusé et ravi. L’observation y forme avec la fantaisie le mélange le plus savoureux. Au décor, château, fête dans le parc, noce campagnarde, on dirait un opéra-comique ; mais la détresse du gentilhomme ruiné, l’arrogance du parvenu, maints détails semés çà et là nous jettent en pleine comédie de mœurs et sont d’excellente satire sociale. Et ce qui éclaire la scène, y éclate en feu d’artifice, y part en fusées, c’est l’esprit de l’auteur. J’ai eu déjà maintes fois l’occasion d’en faire la remarque : le dialogue, dans les pièces de M. Lavedan, est incomparable. Parmi les auteurs dramatiques d’aujourd’hui, si bien doués qu’ils puissent être, et quels que soient d’ailleurs leurs mérites particuliers, aucun autre ne possède l’art du dialogue au même degré que