Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— avec le Pape. La question de la Constitution civile était évidemment de celles dont le chef de l’Église a le droit de se croire souverainement juge. S’il estimait l’œuvre de la Constituante incompatible avec son autorité spirituelle, on ne voit pas bien comment on pourrait prouver qu’il s’est trompé, ni à quoi pourrait servir une pareille démonstration. Le « fait papal, » comme disait Brunetière, est un fait qui s’impose, en dehors de toute approbation ou désapprobation. M. Mathiez indique quelque part que l’orgueil de Pie VI a été froissé. C’est un argument moral qui nous parait bien fragile. Des faits, des dates auront toujours en histoire plus de force que des déductions psychologiques. D’ailleurs est-ce bien la vanité ou l’amour-propre de tel ou tel souverain pontife qu’il convient de mettre en cause à propos d’une Constitution qui, dit M. Salomon Reinach dans Orpheus, « méconnaissait absolument l’autorité du Pape ? »

Ce qui importe, ce qui peut nous éclairer sur le degré de mauvaise ou de bonne volonté que le souverain pontife a pu apporter dans cette affaire, c’est d’abord la hâte ou la lenteur qu’il a mise à la résoudre. Comment, dans quel délai, sous quelle forme s’est manifestée son hostilité ?

Il y a une première observation dont tout le monde a été frappé, mais dont chacun tire des conclusions différentes. C’est que la condamnation formelle et officielle de la Constitution civile par le Pape s’est fait beaucoup attendre. La Constitution civile est votée le 12 juillet 1790, acceptée par le Roi le 22 juillet, promulguée officiellement le 24 août, et condamnée seulement le 10 mars 1791 par le bref Quod aliquantum. Ajoutons que dans l’intervalle l’obligation du serment avait été votée le 27 novembre, promulguée par le Roi le 26 décembre, et que le serment avait été prêté ou refusé dès le commencement de janvier. Rome a donc pris le temps de la réflexion. Faut-il en conclure avec M. Gabier (Études sur l’histoire religieuse de la Révolution) que le Pape n’eut pas tout d’abord d’opinion sur l’accueil que méritait l’œuvre de la Constituante ? « S’il y avait hérésie ou schisme évident, dit-il, pourquoi la cour de Rome s’obstinait-elle à garder le silence ? » La lenteur du Pape s’expliquerait donc par son indécision sur le fond même de la question. M. Mathiez l’explique plus prosaïquement par la préoccupation du Pape de ménager l’Assemblée tant qu’il lui reste un espoir de conserver