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Dans leur griserie de législateurs persuadés que la loi peut tout, et en toute matière, quelques-uns seraient allés jusque-là. « Un État peut admettre ou non une religion, » déclarait Treilhard. « L’Église est dans l’État. Nous sommes une Convention nationale ; nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, » proclamait Camus. « Nous ne le ferons pas, » voulait-il bien ajouter. C’est ici l’écho, la survivance de ce qu’avaient fait ou voulu faire les régimes de tyrannie et d’absolutisme qu’on réprouvait bien haut tout en leur empruntant leurs procédés. C’est le rappel du vieil axiome : cujas regio, ejus religio, les sujets doivent avoir la religion de leur pays, la religion nationale, autrement dit la religion décrétée par le souverain. Certes ni le Comité, ni l’Assemblée n’entendaient aller si loin. Il leur plaisait seulement d’invoquer leur toute-puissance pour en imposer aux résistances probables du clergé et du Pape. Seulement, derrière les gallicans, il y avait les descendans de Port-Royal et des Camisards, en petit nombre mais déterminés, qui Haïraient la revanche et qui poussaient les présomptueux et les ambitieux.

L’Assemblée fit pourtant effort pour ménager quelques accommodemens. Elle consentit à appeler le Pape par son nom dans l’article 20, elle proclama « l’unité de foi et de communion avec le chef visible de l’Église, » pour apaiser un scrupule de l’abbé Grégoire. Mais d’autre part elle repoussa, comme nous l’avons dit, l’article du projet qui « suppliait le Roi de prendre toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour assurer la pleine et entière exécution du présent décret. »

Cet article ouvrait la porte aux transactions avec Rome. Treilhard eut beau expliquer qu’on le repoussait comme inutile, vu que le Roi n’avait pas besoin d’une invitation de cette sorte pour prendre toutes les mesures nécessaires, ce rejet était, on l’avouera, tout le contraire d’une avance à l’égard du Vatican Treilhard avait lui-même affaibli la valeur de sa bénévole interprétation en ajoutant, pour flatter le préjugé antiromain de l’Assemblée : « Cette proposition est dangereuse parce qu’elle tendrait à faire croire qu’il y a des difficultés dans l’exécution d’un décret aussi facile à exécuter que tout autre (séance du 21 juin). »

Et à travers tout cela, l’Assemblée manifestait ses sentimens de piété en interrompant ses débats, le 3 juin, pour la Fête-Dieu.