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salutaire, la petite vérole volante, et cette purgation naturelle, qui lui fera beaucoup de bien, demande à être ménagée. Je te répète encore, cette petite est un ange d’esprit et de grâces ; je l’aime follement, car il vaudrait mieux peut-être traiter sa santé avec moins de soins. Malgré tout cela, cher ami, et surtout malgré ta lettre qui a tant d’empire sur mon cœur, je crois que j’irai à Berlin. Si près de cette ville, il serait presque fâcheux de ne pas la voir, certaine que je suis de n’y revenir de ma vie. Auguste fait des progrès dans l’allemand ; encore trois mois de séjour en Allemagne, et il le saura pour sa vie. Si je n’allais pas à Berlin, on dirait que j’y crains quelques dégoûts, et, si les renseignemens que j’attends me parviennent, je suis sûre d’y avoir du succès. Il faudrait rester ici jusqu’au printemps, car le chemin est beaucoup plus mauvais pour retourner à Francfort que pour aller jusqu’à Berlin. Ce n’est pas s’éloigner, c’est presque se rapprocher, car le chemin est plus praticable de Berlin par Brunswick que par ici. Je verrai le duc de Brunswick à mon retour à l’Université de Göttingue. J’aurai fait un tour complet de l’Allemagne. Il y a à Berlin des étrangers, le prince Louis-Ferdinand, tout ce qu’il faut pour s’amuser avant la fin de mon pauvre visage. Laisse-moi lui faire faire cette petite apparition.

Benjamin aime mieux retourner seul qu’avec moi ; il a envie de passer trois mois à Paris pendant que je voyage, et ce désir est fondé en raison. Si j’arrivais à Metz au milieu de l’hiver, j’y ferais une triste mine. Si j’y arrive au mois d’avril, je serai la maîtresse de tourner mes pas vers la Suisse ou Paris, et j’ai assez l’idée de passer de quelque manière un mois à Paris et de me rendre de là en Suisse. Pour le matériel de la route, Eugène est vraiment admirable. Il n’a pas manqué un clou à ma voiture depuis Paris. Ainsi, cher ange, il ne faut pas être inquiet pour ta grosse fille, qui est prudente jusqu’à la poltronnerie. Au reste, si tu me réponds bien vite, peut-être recevrai-je encore ta lettre ici.

On dit que l’empereur de Russie arme en Courlande pour s’unir aux Anglais dans l’expédition contre la Hollande et cette nouvelle me paraît aussi vraie. Quant aux succès de la descente, je t’avouerai que je n’y crois pas le moins du monde ; j’ai causé ici avec un vieux Anglais qui a du sens et qui prend tout cela pour des folies. M. de Chateaubriand va venir dans le pays de Vaud. Je m’en réjouis beaucoup. Tu as deviné que j’étais occupé de Valérie[1] ; je te prie de la lire bien vite et de m’écrire si cela me détrône. Cher ange, je te prie, ne t’inquiète plus sur mon voyage. Je l’ai surmonté, je l’espère, et mes vapeurs, car c’étaient des vapeurs, sont pour le moment dissipées. Or, tout le mal venait de la faiblesse de l’âme ; on triomphe des autres difficultés quand on voit les objets tels qu’ils sont : Écris-moi que tu dors bien la nuit et je continuerai ma route avec courage.


Ce 23.

Je vais acheminer ma petite lettre, cher ami ; monsieur mon fils s’amuse à Weimar ; la duchesse a eu l’extrême bonté de le faire venir à la

  1. Mme de Krudener, l’auteur de Valérie, n’avait rien négligé pour préparer et assurer le succès de son roman, et elle se posait en rivale de l’auteur de Delphine.