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Cour, ce qui ne s’est jamais fait. Elle y a un jeune prince de son âge ; ils font des parties de traîneau ensemble : enfin il est tout enchanté de l’Allemagne. Je ne crois pas qu’il arrive au dehors la moindre nouvelle de ce qui se passe ici ; cela me paraît une retraite, un grand château avec beaucoup de société et un spectacle. Quant aux hommes, il n’en est pas question. Le duc excepté, qui est aimable, je ne crois pas qu’il existe telle chose qu’un homme en Allemagne ; je rabâche là-dessus, mais c’est que c’est triste ! Si tu pouvais avoir la bonté, comme tu fais ton compte le 1er de l’an, de m’envoyer le résultat de ce que je t’ai coûté cette année. J’imagine que les Bethmann auront tiré sur Récamier, et Récamier sur Foucault, les deux cents louis que j’ai tirés sur lui ; j’en ai pris 40 ici en arrivant, qui comptent sur cette année. Adieu encore, cher ami ; de grâce, ne t’inquiète plus sur nous.

Mme de Staël n’exagérait rien lorsqu’elle parlait de l’accueil qui lui avait été fait par la famille ducale de Weimar. Entre la duchesse Louise et elle se noua en effet une relation qui devait, en dépit de l’éloignement et des circonstances adverses, durer jusqu’à la fin de la vie de Mme de Staël. Voici comment Mme de Staël parle de la duchesse Louise dans l’Allemagne  :

La grande-duchesse Louise est le véritable modèle d’une femme destinée par la nature au rang le plus illustre ; sans prétention comme sans faiblesse, elle inspire au même degré la confiance et le respect. L’héroïsme des temps chevaleresques est entré dans son âme sans lui rien ôter de la douceur de son sexe.

Et voici comment la duchesse Louise jugeait Mme de Staël peu de temps après l’arrivée de celle-ci à Weimar, dans une lettre qu’elle adressait en français à une amie. Après avoir parlé du chagrin que lui avait causé la mort de Herder, elle continue :

Ce qui nous égaie un peu et remet de la vivacité dans nos entretiens, c’est la présence de Mme de Staël, et je ne saurais nier que je suis charmée de faire la connaissance, ou plutôt de l’avoir faite, de cette femme célèbre et intéressante sous plus d’un rapport, car je crois qu’elle est unique dans son genre et qu’il n’y a pas deux personnes au monde organisées comme elle. Si cela ne vous ennuie pas que je vous en parle, j’aurai l’honneur de vous dire ce que vous savez apparemment par d’autres, mais, ne vous en déplaise, j’aime à vous répéter qu’avec un esprit supérieur et orné, elle n’a pas l’ombre de pédanterie, car elle parle à chacun de tout ce qu’on veut avec intérêt, ce qui rend sa conversation infiniment aimable et aisée. Tout ce qu’elle dit est exprimé avec une facilité, une justesse, une grâce et un naturel charmant, car ce qu’elle dit avec sensibilité, avec un sentiment profond, est tout aussi naturel que les choses spirituelles, piquantes et