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monde pleurait en me quittant ; il y a quelque chose de bien aimable dans l’attachement qu’ils me témoignent tous. Je pars chargée de lettres comme le courrier de la malle ; j’en ai vingt-cinq, et de plus, la duchesse régnante, qui est pour moi comme une mère, a écrit aux quatre coins de l’Allemagne sur moi. Je te prie instament de lui envoyer le Divorce et les deux derniers volumes des Mélanges, et d’envoyer la même chose à Mlle la Baronne de Gœckhausen, dame d’honneur de la duchesse Amélie, douairière. Mais sur l’envoi à la Duchesse régnante de Saxe-Weimar, il faudrait mettre un petit mot de ta part ; c’est une personne digne de cela et qui y sera bien sensible. As-tu eu la bonté aussi, cher ange, de te rappeler que tu m’as donné une lettre de crédit sur Berlin payable en Hollande ; je vais commencer à en faire usage. L’habitude de la dépense est mille écus ; il n’y a que le voyage par-delà. Nous avons donné trente louis à la Cour ici pour la voiture dont je m’étais servie deux mois et demi, et pour la maison qu’on est habitué de payer. J’ai acheté aussi des robes pour être présentée à Berlin ; j’ai payé la pension de mon fils, tout cela a grossi ma dépense et mon mandat est de deux cents louis pour l’ensemble de tout cela et le voyage à Berlin ; mais, pour le compte même de Mlle Geoffroy, je suis chargée de tout à présent, hors d’Albert, ce qui fait que j’espère au moins que cette année ne passera pas l’autre. Je calcule que je resterai à Berlin jusqu’aux revues qui sont le 21 mai ; le Duc d’ici y vient vers ce tems et ce séjour est raisonnable et naturel. — Je me rappelle bien en effet qu’il y avait un mauvais mot dans ma lettre à mon oncle, il n’y en aura plus jamais. Le mot du Consul sur les romans n’a aucun rapport avec Delphine : il confond Genève et le pays de Vaud et il m’a dit autrefois que Thull ( ?) de Lausanne l’avait assuré que toutes les dames de Lausanne faisaient des romans ; quand il veut être obligeant, la langue lui tourne. Il y a un livre ici sur le Consulat assez raisonnable, qui contient une grande analyse de ton dernier ouvrage dans les termes les plus vivement flatteurs ; il dit que cet ouvrage a occasionné mon exil de France.

En même temps que cette lettre, Mme de Staël envoyait à M. Necker copie de celle qu’elle avait reçue, au moment de son départ, de la duchesse Louise.

Me voilà tout à fait réconciliée avec l’ennui que la comédie des enfans m’a causé hier soir, comme il m’a procuré l’aimable billet que je viens de recevoir de votre part, Madame, et pour lequel je ne saurais assez vous exprimer ma reconnaissance. Malgré que je sens parfaitement que je suis loin d’être telle que votre indulgence Veut bien me faire paraître à vos yeux, je ne suis pourtant pas moins bien flattée et touchée de l’amitié que vous voulez bien, Madame, me témoigner, et je ne saurais vous exprimer à quel point je la suis. Mais veuillez, Madame, vous bien persuader que ce sentiment ne s’effacera jamais de mon cœur et que le souvenir, du séjour que vous faites chez nous sera certainement, à tous égards, un de ceux que j’aimerai le mieux et le plus souvent à me rappeler.

L. Duchesse de S.-W.