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ses paroles passionnées, il la saisit, et « contre sa poitrine forte, éperdu, il l’attire éperdue. » Un cri de vieille femme les sépare.

Cette force d’amour, qui pousse l’une vers l’autre ces bouches en fleur, règne dans le poème de Mistral, sur les bêtes comme sur les hommes. Les cavales de la Camargue et leurs étalons « hennissent de bonheur. » Mais la conversation amoureuse de Mireille et de Vincent n’est pas l’oaristys de Théocrite ou d’André Chénier. Le respect limite l’ardeur : le respect, et encore une crainte mystérieuse. C’est presque d’un amour achevé dans la mort, qu’au second entretien, Vincent parle devant Mireille. Ce sentiment, qu’il faut payer de la vie une minute de bonheur, s’exprime par le symbole de l’herbette aux boucles frisées, qui croît dans les eaux du Rhône, et qui a deux fleurs, l’une belle, l’autre amoureuse. Et celle-ci nage, autant qu’elle peut, pour porter un baiser à celle-là ; elle finit par rompre le lien qui la rivait à l’algue, et « libre enfin, mais moribonde, » de sa « petite bouche pâle, » elle effleure sa « blanche sœur. » « Un baiser, puis ma mort, Mireille ! et nous sommes tout seuls. » Ce baiser, il croit le cueillir : sa main hardie a pris la taille ; ils sont joue contre joue : elle s’échappe… « C’est ainsi qu’eux deux — semaient à la brune — leur beau blé de lune — manne fleurie, heur de fortune — qu’aux manans comme aux rois Dieu mande abondamment. »

Les douleurs de la passion dépasseront ces joies. Les parens de Mireille ont chassé maître Amboise et Vincent. Le front dans ses deux mains jointes, elle invoque, toute la nuit, « Notre-Dame d’Amour. » Mais elle se rappelle la parole : « Si le malheur vient vous désemparer, courez aux Saintes ; vous serez aussitôt secourue. » Elle va donc les implorer. La route est rude. Le soleil « lui darde dans le front ses aiguillons » et « le long de la mer sereine » elle « tombe, frappée à mort. » C’est dans le délire, et dans les affres de l’agonie qu’elle est portée auprès des puissantes reliques. Elle crie aux Maries : « Je l’aime, je l’aime, » et tout à coup elle croit voir le Paradis. A son appel d’angoisse, les trois saintes ont répondu : « L’amour pur n’est pas de la terre,… La mort, c’est la vie… Si tu voyais comme votre univers nous paraît malheureux… ô pauvrette ! tu convoiterais la mort et le pardon. »

Douloureuse jusqu’au désespoir, la tendresse humaine