Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

franchit encore, avec Vincent, le soleil du sanctuaire. En entendant sa lamentation, la foule entière a ressenti au cœur la même angoisse, « et pour lui ils souffraient, et ils pleuraient ensemble. » Et le cantique des Saintes se fait entendre : toute la foi de cette assemblée de chrétiens s’exhale dans ces mots de supplication : « Reines du Paradis, maîtresses de la plaine d’amertume, vous comblez, quand il vous plaît, nos filets de poissons ; mais la foule pécheresse, qui à votre porte se lamente, ô blanches fleurs de la lande salée, si c’est la paix qu’il nous faut, de paix remplissez-la. » La mourante murmure : « O Vincent, je suis heureuse. Les âmes, que la chair ne retient plus, montent au ciel. » Et aussitôt, miraculeusement, les saintes lui apparaissent : « Les voici ! Elles sont sur la mer, elles viennent dans une barque sans voile. » Mireille meurt dans la douceur merveilleuse de cette extase.


IV

Ce qu’il faut dire encore et ce qu’il faudrait dire abondamment, mais ce sera, faute de temps, ma courte conclusion » c’est que la destinée entière de Mireille a un témoin, celui dont la présence met le sceau à toute « chose de beauté. » Ce grand témoin, c’est la Nature.

L’un des momens les plus émouvans du poème est celui où Mireille quitte, un peu avant l’aube, le mas des Micocoules, pour s’en aller à la mort. A cet instant, tout le ciel la contemple. Les constellations frissonnent de la voir fuir. C’est l’heure où l’on commence à traire. Les chiens, « blancs comme des lis, » sont immobiles, « le museau allongé dans les thyms. » Ils ont reconnu la jeune maîtresse et n’ont même pas tressailli. « Et sur les touffes des panicauts, des camphrées, ce perdreau de fille bondit, bondit 1 Ses pieds ne touchaient pas le sol ! » Nul d’entre les bergers n’a songé à quitter ses bêtes pour l’escorter : ils la regardent, sans mot dire, disparaître, « comme un esprit. » Toute la fatalité, qui va suivre et que l’on pressent, n’arriverait qu’à la moitié de son expression, sans ce silence auguste.

Autre moment tragique : le combat entre Vincent et Ourrias. Morceau à effet, morceau étudié, où des traits de réalisme assez rude se mêlent aux moyens traditionnels, à des comparaisons qui ont traîné dans tous les poèmes épiques. L’écrivain veut