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contemporaine, que toute époque a un style et que, si elle ne s’en aperçoit pas, c’est qu’il n’est donné qu’à la postérité d’en distinguer les traits. Mais cette opinion ne repose sur rien. Car toutes les lois, en France notamment, qu’un style puissant et durable s’est créé, tout le monde s’en est aperçu, et les expressions « nouvelle manière de bâtir, » ou « goût nouveau, » qu’on employait alors, le prouvent surabondamment. On s’est aperçu du style Renaissance, on s’est aperçu du style Louis XIV, on s’est aperçu du Rococo, on s’est aperçu de l’Empire, dès qu’ils existèrent. Si nous n’apercevons pas le style troisième République, c’est peut-être parce qu’il n’existe pas.

C’est pourquoi il faut louer M. Lalique, après avoir paré la femme moderne, de s’occuper maintenant à parer la maison moderne. Et il faut le louer, encore, de chercher cette parure non dans les formes des choses, mais dans leur matière et leur couleur. La matière qu’il a choisie, c’est le verre, moulé et coloré, gravé quelquefois, et employé en grandes surfaces là où l’on employait auparavant la pierre ou le bois. C’est ainsi qu’on peut voir, avenue d’Antin, salle XII, tout un pavillon voûté, construit par ses soins, dont les pilastres ou montans sont faits de verre, couleur de miel, avec une décoration d’anémones figurées en relief et une fontaine centrale également de verre. La couleur répandue par tout cela est calme et fine : on baigne dans une transparence lumineuse. Sans doute, un tel décor ne convient pas à toutes les demeures, ni dans toutes les circonstances, mais il est à la fois charmant et nouveau. M. Lalique ouvre une voie où devraient s’engager résolument nos décorateurs. Les revêtemens de céramiques et les parois de verre, voilà ce qui peut marquer en gaieté, en intimité, en lumière, non pas une révolution totale, mais du moins un progrès dans l’art décoratif au XXe siècle.

A côté, précisément, dans la salle X, se trouvent, cette année, les vitrines où M. Delaherche expose ses Grès au grand feu et ses Porcelaines, M. Lenoble ses Céramiques de grand feu, M. Moreau-Nélaton, ses Grès cérames, et dans la salle voisine (salle XI) M. Dammouse a mis ses Pâtes de verre. Cet ensemble admirable, qui groupe les meilleurs exemples d’art décoratif qu’on puisse montrer à notre époque, doit être longuement étudié. On ne saurait rien trouver, hors de France, qui lui soit comparable. Nous passons peut-être trop souvent indifférens