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elle-même comprenant mal l’allemand, la conversation serait impossible. « N’importe, répondit-elle, je la verrai parler. » Schlegel dut les mettre en relation, et servir de truchement. Mais la situation fut difficile pour lui. « Que dit-elle ? » demandait à chaque instant Mme de Staël, et Schlegel ne pouvait pas traduire exactement les propos de son amie, qui étaient peu obligeans pour Mme de Staël. Ce fut à Mme de Staël cependant que la victoire resta. Moyennant promesse d’un traitement de 12 000 francs et ultérieurement d’une pension viagère, Schlegel s’engageait à partir avec elle, pour donner, pendant quelque temps au moins, des leçons à ses enfans[1]. Mais Schlegel tint dans la vie de Mme de Staël une tout autre place que celle de précepteur de ses enfans. Il s’attacha à elle par les liens d’une affection solide et, après avoir été un commensal habituel de Coppet, il l’accompagna dans la longue tournée qu’elle entreprit en 1812 à travers l’Europe. Il demeura auprès d’elle jusqu’à la fin et collabora à la publication des Considérations sur la Révolution Française. Il devait lui survivre longtemps, car il ne mourut qu’en 1842.


VI

L’existence agitée que menait Mme de Staël, obligée de se partager entre les fêtes de Cour, les réunions mondaines et les « thés littéraires, » ne l’empêchait pas d’adresser, chaque courrier, de longues lettres à M. Necker où elle continuait de lui faire part de ses impressions beaucoup moins favorables au monde de Berlin qu’à celui de Weimar.

Ce 27 mars.

Je possède, mon ange, d’admirables lettres de toi, qui me sont arrivées

  1. Cette double promesse fut fidèlement remplie par Mme de Staël. Dans ses comptes qu’elle tenait très exactement, Schlegel, à partir de cette époque, est porté tous les ans pour une somme de 12 000 francs et elle lui laissa une rente viagère par testament. La clause qui le concerne est ainsi conçue : « Si M. Schlegel ne m’a pas quittée jusqu’à ma mort, je lui lègue 3 000 francs de France de pension viagère et son appartement à Coppet, tant qu’il vivra, personne ne pouvant lui ôter une demeure que sa présence honorera toujours. » Le nom de Schlegel se retrouve dans une autre clause du même testament : « Je prie mon fils Auguste de veiller conjointement avec M. Schlegel à la publication de mes manuscrits, s’il en reste encore après ma mort, et notamment de mon ouvrage politique, s’il n’était pas encore publié. Je souhaite que le prix qu’on tirerait de ces manuscrits soit divisé entre M. Schlegel jusqu’à la concurrence de cinq cents louis (huit mille francs de Suisse) et mon fils Auguste. »