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caisse de farine, quelques clous, de l’étoupe fabriquée avec un bout de corde, le flanc malade est réparé.

Foncière nous quitte pour retourner à Manji, et le convoi reprend sa marche à travers les rapides.

Les Loangos sont toujours en arrière, ils n’ont pas plus d’ardeur que le premier jour ! J’ai fait charger et partir leurs bateaux les premiers, afin de leur donner un peu d’avance ; mais à peine suis-je sorti des gorges de Koussounda, que je les aperçois allongés sur une grève sablonneuse. Je saute à terre pour les inviter à se remettre en route, et je commence par essayer de la persuasion. Mes bonnes paroles n’obtiennent aucun succès ; ils n’ont même pas l’air de m’écouter. Je suis plutôt embarrassé ! Je n’ose employer les menaces, de peur de les voir déserter. Ils ne sont pas encore à une assez grande distance de la côte pour ne pas réussir à rentrer chez eux où, ils le savent bien, la trop bienveillante administration locale ne les poursuivrait pas. Cependant, je décide un des contremaîtres à se lever. Instantanément les voilà tous debout, m’entourant, réclamant, gesticulant, criant. Je n’arrive ni à les entendre, ni à me faire entendre d’eux. Tout à coup, ils se sauvent en hurlant ; à côté de moi, Castellani a surgi, le revolver au poing.

Il a cru à une attaque et bravement a bondi hors de notre bateau ! Au lieu de le féliciter de son courage, je l’invite en termes véhémens à remettre son revolver dans l’étui, et je le renvoie à ses études, car il était en train de dessiner.

Vais-je rattraper mes pagayeurs effarouchés ? Heureusement, ils ne sont pas allés loin ; la mine déconfite de Castellani semble même les réjouir. Je ne veux pas insinuer que l’homme descend du singe ; mais il est certain que les noirs comme ces animaux ont une facilité surprenante à se laisser distraire de leur idée première par le moindre incident. Ceux-là ne songent plus à ce qu’ils voulaient me dire ou obtenir de moi. Ils reviennent en imitant la pose dramatique de mon trop brave peintre, et, malgré mes efforts, je ne peux m’empêcher de rire. Dès lors l’hilarité est générale, et chacun, regagnant son embarcation, reprend la perche ou la corde de halage. Castellani a bon caractère, il ne se fâche ni de la façon un peu vive dont je l’ai apostrophé, ni des imitations auxquelles son geste donne lieu dans les équipes. Seulement, il a noté cet incident, à côté des déclarations de Maclaud sur la quinine, et de ses impressions sur les