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Comme à Koussounda, le fleuve tombe en chute, disparaît dans une pluie de perles, une gerbe d’écume, et barre toute la largeur du lit. Cependant, sur la rive droite, existe au milieu des rochers une sorte de petit chenal en escalier ; mais sa profondeur est à peine suffisante pour faire passer un bateau vide, et il n’a pas l’air d’avoir la largeur nécessaire. C’est pourtant le seul passage par où nous puissions essayer de remonter la chute.

Les boats sont déchargés, je fais avancer le premier. Je m’en doutais ; il est trop large pour le chenal ! On le soulève, on le met de travers, sa coque grince contre les rochers, se creuse de sillons, il arrive tout de même au-dessus du barrage. Les autres suivent ; à deux heures de l’après-midi, tous sont réunis dans une petite crique sablonneuse, et je les fais recharger aussitôt.

— Nous reprenons la marche ? demande Castellani.

— Évidemment !

— Vous avez une façon de fêter le 14 juillet !

Le 14 juillet ! Je n’y avais plus songé. Voilà l’occasion de récompenser le zèle des Bassas et des Cap-Lopez, et d’encourager le timide effort donné aujourd’hui par les Loangos. En l’honneur du 14 juillet, il y aura repos et distribution de tafia.

Cette nouvelle est accueillie avec un enthousiasme qui s’accroît à la vue d’un défilé de bon augure ; le chef de Kitabi, le village voisin, apporte du manioc, et en tête du cortège s’avance, sur la tête d’un indigène, un petit cochon ficelé dans une moutète. Le pauvre animal fait une si triste figure que je le livre au crayon de Castellani avant de l’abandonner aux pagayeurs.

Pendant que Castellani dessine, et que le chef de Kitabi s’éloigne, gratifié de cortades d’étoffe, je subis l’assaut des malades. J’aurais peut-être eu la vocation de médecin, je n’ai pas celle d’infirmier. C’est toujours le moment pénible de la journée ; je ne peux cependant refuser de panser les écorchures, les coupures dont certaines sont assez profondes. Ces malheureux se sont blessés sur les rochers ; c’est bien le moins que je les soigne.

Mes pansemens ne produisent pas grand effet, puisque les blessés reprennent aussitôt leur dur métier, mais les noirs aiment se faire soigner. Ils sont en cela de grands enfans éprouvant un plaisir à ce qu’on s’occupe d’eux ; et ce qu’il y a de