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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/617

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d’ailleurs ; et je le présentai d’un peu loin au chef. Celui-ci n’hésita pas : c’était sa femme ! Tout en se frappant joyeusement sur les cuisses, il appela ses sujets pour qu’ils vissent cette curiosité ; son épouse, bien que d’une façon plus réservée, partagea sa gaieté.

— Et après ? me dit Castellani. Ce n’est pas du dessin, ça. En tout cas, la partie dessin m’appartient.

— Attendez. Faites-moi maintenant une réduction de ce profil.

La réduction terminée, je la montrai au chef et à sa femme, à côté de l’autre profil. En quelques mots d’explication, ils avaient compris.

— Maintenant, Castellani, voilà le dessin ! Donnez-moi votre crayon.

J’invitai mes deux élèves à regarder ce que je faisais. J’appliquai la réduction sur une feuille de papier, j’en suivis régulièrement tous les contours, et l’enlevant, j’indiquai l’analogie existant entre la silhouette et le dessin.

La jeune femme comprit la première. Alors, lui touchant délicatement les paupières, puis l’oreille, puis les narines, j’ajoutai successivement à mon portrait ces organes indispensables.

Castellani, devant l’œil que j’avais posé sur ce profil, ne se tenait pas de joie :

— Oh ! cet œil ! oh ! cet œil !

— N’empêche qu’elle s’est reconnue ; tandis que sur votre dessin elle n’avait rien vu. J’ai gagné mon pari. Payez.

— Comment ?

— Mon portrait par le maître.

— Vil flatteur ! Mais cet œil ! cet œil !

C’est ainsi que j’eus un croquis de moi par Castellani.


La marche n’est plus qu’une promenade ; je me laisse emporter, juché sur une caisse, dans le repos du corps et de l’esprit.

Il est midi. Le calme de la rivière n’est troublé que par le bruit des pagaies ; parfois une branche morte tombe d’un arbre, parfois des feuilles bruissent, s’agitent dans la fuite d’un singe apeuré, et la nature reprend l’impassibilité qu’elle revêt à l’heure