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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/65

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Mme DE STAËL ET M. NECKER
D’APRÈS LEUR CORRESPONDANCE INÉDITE


V.[1]
LES PREMIÈRES IMPRESSIONS DE Mme DE STAËL SUR L’ALLEMAGNE

I

Dans un des premiers chapitres de l’Allemagne, Mme de Staël n’a pas essayé de dissimuler l’impression mélancolique et presque funèbre qu’elle éprouva lorsqu’elle franchit le Rhin et lorsqu’elle se sentit « exposée à entendre ces mots terribles : Vous êtes hors de France. »

J’étais, il y a six ans, sur les bords du Rhin, attendant la barque qui devait me conduire à l’autre rive ; le temps était froid, le ciel obscur, et tout me semblait un présage funeste. Quand la douleur agite violemment votre âme, on ne peut se persuader que la nature y soit indifférente ; il est permis à l’homme d’attribuer quelque puissance à ses peines ; ce n’est pas de l’orgueil, c’est de la confiance dans la céleste pitié.

Je m’inquiétais pour mes enfans, quoiqu’ils ne fussent pas encore dans l’âge de sentir ces émotions de l’âme qui répandent l’effroi sur tous les objets extérieurs. — Mes domestiques français s’impatientaient de la lenteur allemande et s’étonnaient de ne pas être compris quand ils parlaient la seule langue qu’ils crussent admise dans les pays civilisés. Il y avait dans notre bac une vieille Allemande, assise sur une charrette ; elle ne voulait même pas en descendre pour traverser le fleuve. « Vous êtes bien tranquille, lui dis-je. — Oui, me répondit-elle, pourquoi faire du bruit ? »

  1. Voyez la Revue des 15 février, 1er et 15 mars et 1er décembre 1913.