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Ces simples mots me frappèrent en effet. Pourquoi faire du bruit ? Mais quand des générations entières traverseraient la vie en silence, le malheur et la mort ne les observeraient pas moins, et sauraient de même les atteindre.

Francfort fut la première ville d’Allemagne où Mme de Staël fit un séjour de quelque durée. Elle y était arrivée, incertaine de ses projets et de la route qu’elle prendrait. Quand elle était à Metz, elle songeait encore à se diriger vers Berlin ; mais elle hésitait à s’enfoncer plus avant dans cette Allemagne qui lui faisait peur. Weimar l’attirait au contraire par l’éclat que projetait sur la petite cour ducale la présence simultanée de Goethe et de Schiller. Mais avant de prendre l’une ou l’autre route, elle voulait attendre des nouvelles de M. Necker et la réponse aux questions minutieuses qu’elle lui avait adressées sur l’état de sa santé.

Une lettre que M. Necker lui écrivait le 4 novembre était de nature à la rassurer et l’encourageait à continuer son voyage :

… Tu auras déjà vu dans une de mes dernières lettres adressées à Metz que, là, il n’y avait pas la plus légère incertitude à conserver sur la convenance de ton voyage en Allemagne et que je t’invitais, par toutes sortes de motifs, à le faire avec sérénité, et puisque tu m’écris de nouveau sur ma santé, je te répète, avec la plus grande vérité, que je suis aussi bien que je l’ai été depuis longtems et justement de même que tu m’as laissé. J’ai mes réveils, lorsque des lettres de toi m’inquiètent, mais je surmonte aisément ces impressions dans la journée, et j’espère, avec la bénédiction du ciel, que je ne serai pas mis à des épreuves plus fortes que celles que j’ai eues. Je n’ai même aucun battement de cœur comme j’en ai eu quelquefois l’hiver dernier. Je trouve donc, relativement à ma santé, que l’époque est bien choisie pour l’entreprise de mon petit pigeon voyageur. Le jugement de Genève, dont tu as la bonté de prendre souci, est tel que tu peux le souhaiter ; on trouve que tu as noblement fait de t’éloigner dès qu’on marchandait sur ton séjour à Paris ; on trouvait de plus d’une raison parfaite l’idée que tu aurais eue d’aller présenter ton fils au Roi de Suède, et j’ai bien quelque regret à ce que tu ne l’aies pas fait.

Mme de Staël était arrivée à Francfort le 17 novembre. Le jour même de son arrivée, elle avait, suivant son habitude, écrit à son père une lettre qui a dû être perdue ou que M. Necker n’a pas conservée, car elle ne se trouve point dans les archives de Broglie. Le 19, elle lui écrivait une seconde lettre et lui faisait part de ses premières impressions sur l’Allemagne qui, on va le voir, n’étaient guère favorables.