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savons qu’il connut le grec comme il connut l’hébreu. Vers la fin de sa vie, il eut peut-être le texte grec du Nouveau Testament, comme tendent à le prouver l’insistance qu’il met à demander la correction de l’exemplaire latin, l’éloge enthousiaste de l’exégète capable de mener à bonne fin cette œuvre urgente et difficile, les recommandations relatives aux Grecs schismatiques qui ont pu altérer le texte ou qui n’ont pas su le garder pur. En relevant les mentions que Roger Bacon en fait dans ses divers ouvrages, on verrait qu’il eut, en versions latines tout au moins, des docteurs et des Pères, Origène, Eusèbe, le Pseudo-Denys l’Aréopagite, Jean Damascène, des savans et des écrivains comme Archimède, Hipparque, Ptolémée, Euclide, Théodosius, Hippocrate, Galien, Dioscoride, Flavius Josèphe. Mais on ne saurait ni dresser un catalogue exact des traités dont il disposait, ni séparer ce qu’il leur doit de ce qu’il doit aux Arabes, ni indiquer quels textes grecs il put se procurer. Toutefois, la façon dont il juge les traducteurs qui ignorent les langues et les sciences, Gérard de Crémone, Hermann l’Allemand, Michel Scot, Alfred l’Anglais, Guillaume de Moerbeke, l’auxiliaire de saint Thomas, la sévérité de plus en plus grande avec laquelle il apprécie leur œuvre, nous inclinent à croire qu’il a pu, par une comparaison au moins partielle avec le texte original, voir de mieux en mieux ce qui manquait à leur œuvre.

Nous pouvons dire avec un peu plus de précision quelle est la position de Roger Bacon par rapport à Aristote et aux doctrines plotiniennes. Il connaît tout l’Organon et le complète par une logique plus extensive, applicable aux matières que ne régit pas celle où la démonstration domine, et qui est, en plus d’un point, analogue à ce que M. Ribot appelle la Logique des sentimens. De l’Aristote authentique, dont il lit et commente, à Paris ou à Oxford, la Physique et la Métaphysique, il a l’œuvre à peu près complète, sauf la Politique. L’Aristote apocryphe, tout plotinien et même chrétien, il en possède les traités les plus caractéristiques, le Livre des Causes, dont la doctrine vient de l’Élévation théologique de Proclus, les Impressions célestes, qu’au témoignage d’Averroès, Roger Bacon dit le plus important des ouvrages des anciens, le Secret des Secrets, qu’il étudie et commente avec les étudians de Paris ou d’Oxford et qui est plus propre qu’aucun autre à nous expliquer comment Aristote fut