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ménager les forces de sa fille convalescente et s’arrêtait quelques jours à Gotha.

Voltaire définissait les petites cours d’Allemagne : « de vieux châteaux où l’on s’amuse. » Cette définition s’appliquait à merveille à la petite principauté de Gotha, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, en particulier sous le règne de la duchesse Louise-Dorothée. Cette princesse, intelligente et cultivée, était en correspondance avec Voltaire, qui avait passé quelques semaines chez elle en quittant Berlin et qui n’avait jamais oublié la manière dont elle l’avait reçu dans le « paradis thuringien. »

Souveraine sans faste et femme sans faiblesse,


c’est ainsi qu’il la qualifie. La duchesse Louise-Dorothée avait fondé à Gotha un ordre des Ermites de bonne humeur, dont la devise était : Vive la joie ! et dont la règle consistait à « mettre l’étiquette de côté dans les réunions du chapitre. » Elle faisait représenter sur le théâtre de la Cour des pièces françaises, recevait communication de certains chants de la Pucelle et « prenait plaisir aux aventures de Jeanne, d’Agnès et du père Grisbourdon[1]. » Ce qui est davantage à son éloge, elle avait discerné de bonne heure le mérite de Grimm, qu’elle avait même attaché pendant quelque temps comme secrétaire à son fils aîné, le prince héréditaire, quand celui-ci vint faire un séjour en France. Elle fut une des premières princesses à favoriser par une souscription cette fameuse Correspondance littéraire, que Grimm adressa tous les quinze jours, pendant vingt ans, aux principales cours de l’Europe, et qui est aujourd’hui, pour l’étude du XVIIIe siècle, une mine de renseignemens si abondans et si précieux.

Grimm devint même son correspondant particulier, correspondant singulièrement actif et utile, car il s’emploie avec une égale ardeur à obtenir le paiement de certaines créances que la cour de Gotha croyait avoir le droit de faire valoir, et à faire parvenir à la duchesse une tête frisée, une considération (sorte de paniers), et un volume qui contient la description de vingt-huit coiffures différentes avec autant de planches

  1. Melchior Grimm, par Edmond Scherer, p. 205 et passim.