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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/77

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gravées et enluminées. Pour le récompenser de tant de zèle, la duchesse Louise-Dorothée l’avait fait nommer conseiller de légation. Il fut même nommé, quelques années après, ministre plénipotentiaire de Gotha à Paris et il figure en cette qualité sur l’Almanach royal jusqu’en 1792. À cette époque Grimm, fuyant la Révolution, quitta la France et vint chercher un refuge à Gotha. Sa protectrice était morte depuis plusieurs années ; elle avait laissé un fils, le duc Ernest II, qui mit à la disposition de l’ancien correspondant et factotum de sa mère une maison. Cette retraite convenait bien à celui qu’une autre de ses correspondantes, la grande Catherine, appelait, dans ses spirituelles lettres, tantôt : Monsieur le philosophe, tantôt Monsieur le soufre-douleurs, et à qui elle écrivait qu’« il n’était jamais plus heureux que quand il était auprès, proche, à côté, par devant ou par derrière quelque Altesse d’Allemagne. » Grimm n’était pas heureux cependant ; il vieillissait désabusé, aigri, morose, ne comprenant rien à cette Révolution dont, inconsciemment, ses amis de l’Encyclopédie et lui-même avaient bien un peu préparé le triomphe, ne sortant de cette petite maison que pour assister de temps en temps à quelque réception ducale, mais heureux encore, ces jours-là, de sortir de l’armoire un vieil habit vert pomme, et de l’écrin le cordon de Saint-Wladimir qu’autrefois lui avait octroyé Catherine. Dans cette petite maison, il allait recevoir bientôt la visite de Mme de Staël.

Grimm avait autrefois beaucoup fréquenté chez Hypathie Necker, ainsi qu’il l’appelle dans sa correspondance, et Mme de Staël avait dû l’y voir souvent. Elle était trop jeune cependant pour assister au fameux diner où il fut décidé que les gens de lettres vertueux élèveraient par souscription une statue à Voltaire, non plus qu’à celui où Mme Necker, n’ayant pu arrêter les propos irréligieux de Grimm, finit par fondre en larmes, ce qui lui valut le lendemain, de Grimm, une jolie lettre d’excuses. Mais Germaine Necker avait assisté de bonne heure aux réceptions de sa mère, puisque dès l’âge de treize ans, assise toute droite sur une petite chaise, les yeux pétillans d’esprit, — telle la représente un crayon de Carmontelle[1], — elle tenait tête aux amis de sa mère qui se plaisaient à la surexciter. Grimm avait

  1. Ce crayon est à Coppet.