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d’honnêtes bourgeois et de ces braves gens que, dans l’ordinaire de la vie, rien ne distingue de la foule anonyme. On se trompe quand on croit que les Cénacles se recrutent exclusivement dans telle ou telle catégorie sociale. Leurs adhérens viennent des points les plus opposés du monde littéraire et se reconnaissent à de secrètes affinités.


Deux volumes viennent de paraître, consacrés à Shakspeare, et dont l’un est à peu près la contre-partie de l’autre. Le premier, intitulé A travers Shakspeare[1], est la réunion des conférences faites aux jeunes filles de l’Université des Annales par M. Jean Richepin. C’est une étude des plus instructives et des plus attachantes, tour à tour ou tout ensemble analytique et lyrique, œuvre d’un poète et quand même d’un professeur. A la méthode abstraite et doctorale d’une leçon qui est une dissertation sur un sujet, M. Richepin préfère celle plus concrète, plus vivante, plus libre, d’une sorte de lecture commentée.

Il raconte les pièces en citant les plus beaux passages. Son opinion se fait jour à mesure et c’est à peine s’il a besoin de la résumer dans quelques mots de conclusion. C’est une opinion tout ensemble enthousiaste et raisonnée et qui m’a paru presque toujours judicieuse. Je ne sais pas, par exemple, pourquoi il qualifie Shakspeare de « poète maudit, » et il me semble que nul n’a moins mérité cette appellation ultra-romantique. C’est vrai qu’aujourd’hui on conteste à Shakspeare l’honneur d’avoir écrit les pièces de Shakspeare ; mais cela lui est bien égal et il se soucie de lord Rutland comme du chancelier Bacon. Et il est bien évident que celui-là n’a jamais connu les affres de la littérature. C’était un petit bourgeois de campagne, fort entendu en affaires, qui ravauda de vieilles pièces, en fabriqua de neuves, gagna à ce métier une certaine réputation et une honnête aisance, et, dès qu’il put quitter le théâtre, s’en revint vivre et mourir paisiblement sur ses terres. Mais d’ailleurs l’exposé rapide et facile de M. Richepin abonde en vues ingénieuses. M. Richepin montre très bien en quoi consiste l’invention d’un Shakspeare et que ce n’est pas à inventer les sujets, et aussi que l’auteur de Macbeth et d’Othello connaissait son métier comme personne, et qu’il avait découvert avant Dumas fils et Sarcey l’art des préparations. Les conférences de M. Richepin sont une excellente introduction à l’étude de Shakspeare.

Le second de ces livres est intitulé : Shakspeare et la superstition shakspearienne[2] et a pour auteur un savant universitaire, M. Georges

  1. 1 vol. in-18 ; Fayard.
  2. 1 vol. in-18 ; Hachette.