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s’abandonner sans réserve à son charme, mais on ne peut s’empêcher de songer à l’abîme que cachent toutes ces fleurs. Cette Armide charmante c’est l’image même d’un état social corrupteur, de ce règne de courtisanes qui démoralisaient la France et qui la désarmaient.

C’est contre cet art sensuel et anti-démocratique que l’art de la Révolution s’est insurgé. Nous avons vu par quels moyens il le fit, et nous savons que c’est en s’inspirant de cette même antiquité qu’il réagit contre l’œuvre du XVIIIe siècle. On peut s’étonner de voir puiser à une même source l’idéal de deux arts ayant des principes si différens : l’un tout fait de grâce, d’élégance, de légèreté, de sensualisme ; l’autre d’énergie, de sérieux, de simplicité.

C’est que l’on peut faire dire à l’antiquité bien des choses. L’antiquité n’est pas une époque d’un jour ; elle comprend de longs siècles, elle a été l’œuvre de peuples divers, elle a exprimé tour à tour les idées les plus opposées. Il y a loin de l’Athènes de Périclès à la Rome de Néron, de la philosophie de Platon à celle d’Ovide, et les statues du fronton d’Egine sont aussi distantes des fresques de Pompéi que l’œuvre de David l’est de celle de Boucher.


Toutes ces considérations sur l’importance du néo-classicisme en France, qui nous permettent d’affirmer que ce style fut une œuvre essentiellement française, deviendront encore plus évidentes si nous regardons ce qui se passe alors, soit en Italie, soit dans les autres pays de l’Europe.

Il faut d’abord montrer que ce n’est pas l’Italie qui a créé le style néo-classique. Pour la première fois depuis de longs siècles, dans un grand mouvement d’art européen, la direction lui échappe. Comme l’art nouveau s’est créé au nom de l’antiquité, comme tous les réformateurs ne cessent de parler de Rome et qu’ils vont tous dans cette ville comme en un lieu de pèlerinage sacré, on a pu croire que les artistes italiens avaient eu une part, et une part très grande, dans ce mouvement. Or il n’en est rien et ceci, dans l’histoire de l’art, est capital à préciser. Ce sont des étrangers, des Français qui, dès la fin du XVIIe siècle, vont à Rome pour étudier l’antiquité ; ils oublient et méprisent tout ce qui est vivant à Rome et tout ce qui s’y est fait depuis tant de siècles sous l’action de la pensée