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chrétienne, pour ne regarder que les œuvres remontant à l’antiquité païenne : ils n’ont pas d’autre ambition que de devenir des citoyens de l’ancienne Rome.

La Rome papale, loin de créer le style néo-classique, lui a été indifférente et hostile ; Rome qui a créé le Baroque, c’est-à-dire un art où la pensée chrétienne restait prépondérante, où elle n’employait les formes de l’antiquité qu’en les transformant profondément ; Rome n’a aucune raison pour renoncer à un art si bien fait pour elle ; pendant plus de deux siècles elle va le poursuivre sans en modifier le caractère.

Pour faire comprendre les divergences qui existent alors entre les diverses nations européennes et pour expliquer notamment quelle fut, dans la création du style néo-classique, la part de l’Allemagne, il m’est nécessaire d’avoir recours à une digression et de rappeler qu’il y eut, entre le Baroque et le néo-classicisme, un style Rococo. Le Rococo c’est le Baroque évoluant vers des idées de grâce, d’élégance, d’ornementation surabondante ; mais c’est un style qui ne cesse pas d’être chrétien et ce sont des prêtres, les Jésuites, qui l’ont transporté dans toute l’Europe catholique. Fait pour les églises, le Rococo est un art populaire, il vise à des effets pompeux, propres à frapper l’imagination ; il est brillant, riche, couvert de fleurs ; il est ardent, violemment expressif, au risque de devenir vulgaire, cherchant à mettre le plus de vie possible sur les lignes inanimées de l’architecture. C’est l’esprit même qui, au XVe siècle, faisait couvrir de figures d’anges toutes nos cathédrales gothiques et transformait les pierres massives en résilles de dentelle.

Le Rococo est l’œuvre des pays gothiques restés chrétiens : pour le connaître il faut voir les intérieurs des églises d’Allemagne, les façades espagnoles et les chaires de Belgique. Mais il n’a été aimé ni à Rome, ni en France.

Il ne plaît pas à Rome où il y a toujours une suprématie de l’idée de puissance qui est hostile aux recherches de trop grande préciosité. Rome, c’est la ville des Césars et c’est la ville des Papes. La façade de l’église du Latran, qui date du milieu du XVIIIe siècle, est peut-être l’œuvre la plus forte qu’ait faite la Papauté. Elle est le témoignage de la persistance du Baroque à Rome et de la résistance de cette ville à l’exubérante richesse du Rococo, comme au paganisme de l’art néo-classique.

Le Rococo ne pénètre pas non plus en France où l’on n’est