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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/109

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plus assez chrétien pour comprendre un tel art. Le style Louis XV est très différent du Rococo : personne ne peut songer à rattacher à ce style les grandes œuvres d’architecture telles que le Panthéon ou les façades de Saint-Sulpice et de Saint-Eustache. Si l’on considère l’art décoratif, il faut un peu plus d’attention pour marquer les dissemblances. Par son luxe et sa complication le décor Louis XV se rapproche du Rococo, mais il s’en distingue profondément en raison de son caractère purement profane. Au lieu de s’épanouir dans les vastes espaces des églises, il se confine dans les boudoirs des palais ; il s’attache au décor d’appartemens privés, excellant à ciseler d’élégans lambris, et sa réussite la plus parfaite est dans le mobilier. Le style Louis XV n’^est pas, comme le vrai Rococo, un art chrétien et populaire, mais un art aristocratique et sensuel ; le peuple l’a détesté et tous ses efforts ont contribué à le détruire. Au contraire, dans tous les pays catholiques de l’Europe, en Belgique, en Espagne, dans l’Allemagne du Sud, le Rococo est resté populaire et a résisté longtemps à l’influence du néo-classicisme.

En Europe, à côté de la France, un seul pays a eu un art néo-classique, c’est l’Allemagne du Nord qui, depuis Luther, est toujours en contradiction avec ce que fait la Rome catholique. Au XVIIIe siècle, l’Allemagne protestante s’insurge contre le Rococo, où elle croit voir trop de sensualisme, contre cet art qui est tout extérieur, tout fait pour la joie des yeux ; et c’est au nom de l’antiquité que les philosophes du Nord vont le combattre et s’unir aux Français pour créer le style néo-classique.

Les relations de Voltaire avec Frédéric II sont le plus éclatant témoignage de cette union. Le néo-classicisme allemand fut l’œuvre de ses penseurs, celle d’un Lessing, d’un Winckelmann, d’un Kant, et, à son apogée, celle d’un Goethe.

Et il faut remarquer que le philosophe français qui eut le plus d’influence, au cours du XVIIIe siècle, dans la lutte contre le sensualisme de la monarchie française, et qui eut le plus d’action pour provoquer l’avènement d’une société nouvelle et de cet art néo-classique fait à son image, ce fut J.-J. Rousseau, un Genevois, un citoyen de la ville de Calvin.

En somme, si l’on étudie les trois grandes formes d’art qui ont régné pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle, on peut dire que l’Italie n’a connu que le Baroque, que le Rococo ne s’est développé que dans les pays chrétiens a traditions gothiques, tels