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En effet, celle-ci ne pouvait subsister du moment qu’il prenait le parti de publier son roman sinon absolument sous son nom, de façon du moins à ne pas laisser de doute sur son droit de l’inscrire au titre du livre. On n’a probablement pas oublié que la première édition de cette magistrale histoire n’en indique aucun. On y trouve seulement, aussitôt après l’intitulé, l’épigraphe : « Aux cœurs blessés, l’ombre et le silence, » tirée de l’œuvre elle-même et signée en toutes lettres. Aussi, tous ces détails aidant, la page destinée à expliquer les intentions primitives de l’auteur est-elle aujourd’hui des plus curieuses à consulter.

Quant à la version inédite du désespoir d’amour éprouvé par son - héros, c’est du Balzac de premier ordre, car ce chapitre, tout à fait supérieur, est comparable aux récits les plus vantés sortis de sa plume. Lui-même en avait d’ailleurs l’intuition, s’il en faut juger par cette note autographe jointe au manuscrit : « A revoir. Restes de la confession qui n’a pas servi pour le Médecin de Campagne. » Comme parmi tous les fragmens ignorés découverts jusqu’ici, et dus à son inépuisable fécondité, pas un seul n’est accompagné d’annotations de ce genre, ce fait prouve donc qu’à ses yeux, celui-ci avait une importance spéciale.

Puis, une autre raison encore a pu lui faire prendre à cette confession un intérêt tout particulier. Cette raison, la voici.

Le Médecin de Campagne fut écrit d’octobre 1832 à juillet 1833. Or, dans l’épisode réservé, Balzac, à n’en pas douter, met en scène les personnages du roman sentimental que lui-même, peu de semaines auparavant, avait réellement ébauché avec la marquise de Castries, née de Fitz-James, dont il s’était violemment épris. Mais elle ne consentit jamais à partager les sentimens qu’elle lui avait inspirés.

À cette époque, la jeune femme était déjà séparée de son mari, par suite d’un drame de passion dont elle avait été tout à la fois l’héroïne et la victime. Ainsi qu’un grand nombre d’autres curieuses, elle s’était sentie attirée vers Balzac par la lecture de ses ouvrages. La pénétration dont il y faisait preuve à l’égard de leur sexe avait si vivement éveillé l’intérêt des belles dames de son temps, que beaucoup d’entre elles suivirent l’exemple de l’Étrangère, et, sans y être comme celle-ci encouragées par la distance, lui écrivirent sans se faire connaître. Mme de Castries fut au nombre de ces correspondantes, anonymes d’abord, mais bientôt connues, quand le grand peintre de mœurs désira voir tomber leur masque. Des relations officielles s’établirent donc rapidement entre elle et lui, si bien que la jeune femme invita l’écrivain à venir la rejoindre à Aix, en Savoie, où ils passèrent ensemble le mois de septembre 1832.

C’est dans ce beau pays que le pauvre Honoré fut atteint par la