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cruelle déception dont, sous le nom de Bénassis, il va nous révéler les amertumes. C’est également à Aix-les-Bains que la première idée du Médecin de Campagne surgit dans son esprit, à la suite du profond chagrin que lui causa l’insuccès de ses tentatives auprès de sa charmante compagne de voyage. Celle-ci d’ailleurs, depuis son éclatante rupture conjugale, se trouvait réellement placée dans la situation décrite ici par Balzac.

Mais entre la conception de l’œuvre et sa publication une autre étoile, lointaine encore pourtant, s’était levée dans la vie du maître ; nous voulons parler de l’Étrangère, de l’Inconnue, de Mme Éveline Hanska en un mot. L’auteur prit alors le parti de transformer absolument le chapitre relatant, sous le couvert d’un personnage fictif, un aussi douloureux épisode de sa propre carrière. Il se hâta d’inventer pour son héros d’autres épreuves à subir, et s’empressa de donner le prénom d’Évelina à la principale héroïne de son nouveau récit.

Néanmoins, tout en faisant rentrer dans ses cartons le premier texte du morceau, Balzac, on l’a vu, comptait bien y revenir quelque jour. Il n’en fut rien cependant, et comme tant d’autres projets, celui-ci s’effaça probablement de sa mémoire. Peut-être aussi renonça-t-il définitivement à traiter de nouveau ce sujet, par la raison que dans Ne touchez pas à la hache (la Duchesse de Langeais), dont l’introduction parut d’abord en mars-avril 1833, et l’ouvrage complet en mars 1835, — c’est-à-dire quelques mois seulement après le Médecin de Campagne, mis en vente en septembre 1833, — il reprit avec plus de force encore l’idée de la confession qu’on va lire.

Le manuscrit de ce fragment s’arrête au moment où Bénassis aborde l’analyse des impressions par lesquelles il a passé aussitôt après la perte de toutes ses espérances ; le chapitre n’est donc pas conduit ici jusqu’à sa conclusion. Mais, à partir du : « seul parti qu’il convient à un catholique de prendre, » il suffit de revenir au texte publié pour connaître l’épisode tout entier. Balzac aura sans doute fait imprimer ce complément tel qu’il l’avait écrit tout d’abord, car il ne contient aucun détail spécial né des faits antérieurs racontés dans chacune des deux versions. Quelques mots, quelques phrases même, se retrouvent d’ailleurs dans toutes les deux, où leur suppression créerait, — dans l’une aussi bien que dans l’autre, — des lacunes et des obscurités extrêmement regrettables.

Après avoir lu ces pages si vibrantes et si profondément marquées du sceau des émotions vécues, on peut reconnaître une fois de plus à quel point Balzac fut toujours dominé par l’ardeur de ses sentimens, et combien la femme occupa dans sa vie une place prépondérante. En effet, lorsqu’on songe que le Médecin de Campagne, cette incomparable expression du désespoir résigné, et la Duchesse de Langeais, où la