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moyennant 1340 000 francs (1660). Son hôtel de la Place Royale (la mairie actuelle) servait de rendez-vous à la meilleure compagnie ; sa table était renommée, mais lorsqu’il mourut des suites d’une chute de cheval (1665), il laissait 4 900 000 francs de dettes. De plus, il se trouvait « en perte d’office, » selon le langage du XVIIe siècle, ayant négligé de payer le droit annuel pour s’assurer l’hérédité de sa charge, qui fut perdue pour les siens et fit retour au Roi. Sa femme, « la plus grande folle du monde en braverie, » dit Tallemant, resta dans un complet dénuement.

Une gestion aussi médiocre de ses affaires particulières ne fait pas augurer, chez le surintendant de Nouveau, de hautes capacités d’organisateur dans la direction du service public qu’il avait hérité, bien rudimentaire encore, de son devancier. Les postes avaient pris pourtant, durant ces trente années, une extension que l’on pourrait croire automatique, si l’on ne savait que des commis habiles, « maîtres des courriers du royaume, » opéraient dans l’ombre, tant pour eux-mêmes que pour le compte du principal propriétaire.

De propriétaire privé, les postes n’en eurent plus à dater de Louvois… ; la plus grande partie d’entre elles du moins, car le tout-puissant ministre de la Guerre, en réunissant au domaine royal le produit des postes dites intérieures dont les anciens tenanciers furent largement indemnisés, se fit octroyer à lui-même la jouissance des postes dites étrangères, cadeau princier comme on le verra tout à l’heure. Il y eut ainsi (1668-1691) deux sortes de bureaux sous la surintendance de Louvois : les uns, ceux des frontières terrestres et maritimes, des territoires occupés, par nos armées et d’une douzaine de départemens actuels, qu’il exploitait à son profil, sans contrôle, avec des agens dépendant de lui seul ; les autres, comprenant le reste du territoire, donnés à bail à un fermier général. Celui-ci, sauf recours au bureau du Conseil, juge supérieur des litiges, gérait son entreprise au point de vue financier en toute indépendance ; politiquement, il demeurait fonctionnaire docile de la Cour.

Ces premiers détenteurs de la ferme, Louis Rouillé et Léon Pajot, déjà employés dans les postes, y fondèrent une dynastie d’habiles gens, qui se maintint soixante-dix ans, en faisant les affaires de l’Etat sans négliger les leurs. Rouillé avait commencé par être porteur de lettres à Tours, puis à Paris, où il