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demande de notre ambassadeur en Angleterre : « On les referme, dit-il, assez adroitement, ainsi qu’avait mandé ledit sieur Ambassadeur… » Ne trouvant pas ce qu’il cherche, mais voyant des lettres à l’adresse de Sourdéac, « nous avons cru qu’il pourrait y avoir de quoi apprendre des nouvelles de Flandres ; ainsi Votre Eminence les recevra et, s’il le juge à propos, les refermera et renverra par le prochain ordinaire… Si l’on s’aperçoit en Angleterre que l’on ouvre les paquets, ajoute de Noyers, je crains qu’ils ne fassent le même et qu’ils n’ouvrent les dépêches du Roi ; à quoi il serait aisé de remédier si M. l’Ambassadeur avait un homme à Douvres, pour les recevoir des mains du maître de la chaloupe qui les porte de Calais. »

Faute de messagers spéciaux, on essayait de se mettre à l’abri des indiscrétions ; jamais les encres sympathiques et les alphabets mystérieux ne jouèrent un aussi grand rôle. Il n’est pas rare de voir des missives d’une grande étendue qui ne contiennent pas un seul mot en clairv Parfois les correspondans convenaient de puiser dans un livre quelconque, choisi par eux, les mots dont ils auraient besoin ; chaque groupe de chiffres indiquait la page, la ligne et le rang de ce mot dans la ligne ; système d’ailleurs long et laborieux. Sans aller jusqu’au chiffre, on avait recours aux termes de conventions, au langage allégorique alors fort à la mode : dans les dépêches administratives, Richelieu est désigné sous les pseudonymes de Nestor, Amadeau, Calori ; Mazarin sous ceux de Colmardo ou Frère-Coupe-Choux ; le Roi devient Le Chêne ou Alexandre ; la Seigneurie de Venise s’appelle Julien, un esturgeon signifie une alliance.

Les gouvernemens avaient leurs déchiffreurs attitrés : celui de Henri IV était un certain Chorrin, à qui, si l’on en croit d’Aubigné, nul chiffre ne résistait. Mais le plus habile de l’Europe en ce genre fut Antoine Rossignol, pauvre garçon d’Albi que « les mathématiques (?) amenèrent, dit Tallemant, à une sorte de divination merveilleuse. » Il l’utilisa pour la première fois lors du siège de Réalmont en 1626, au service du prince de Condé et passa tôt après à celui de Richelieu. Il y avait des chiffres qu’il lisait tout de suite, mais aucun ne lui échappait. Devenu rapidement un personnage indispensable, gratifié d’une charge de maître à la Chambre des Comptes et d’une pension de 60 000 francs, Rossignol, à qui Perrault consacre une