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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/198

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autres gens accordent à l’amour un peu de temps et beaucoup de bavardage ; lui, tout son temps et toute sa pensée : ce fut absurde et pathétique. Les médecins diagnostiquent en lui deux tares : « association par contraste et infantilisme psychologique. » Austères plaisantins ! et qui oublient le principal : c’est le don de poésie. Tout amour ; — et catalogué par les pathologistes, interdit par les hygiénistes ou blâmé par les moralistes, — il le muait en poèmes. Jeunesse et amour : ces deux mots, la postérité les a inscrits, en exergue jolie et aguichante, et comme une auréole, autour du beau visage de ce poète et autour de son génie, ces deux mots tout pleins de gaieté, de mélancolie et de malentendus. On dit, cependant, qu’il n’est plus à la mode : l’amour serait-il suranné ? que nos adolescens le dédaignent : nos adolescens ne sont pas jeunes !

M. Maurice Donnay, lui, est jeune. A la Société des Conférences, il a fait, ce printemps dernier, une belle série de conférences, touchant Alfred de Musset ; et ses conférences sont devenues un Livre charmant, où l’on remarque l’amitié, la bonne foi, et cette gentillesse à laquelle, aussi bien, l’auteur n’aurait pas su renoncer : mais il n’y a point tâché. Sa critique est la plus accueillante, libre, et la moins prévenue. Quant à sa méthode, il se fie à son goût ; méthode qui ne nous plairait pas de tout le monde : elle nous plaît de lui, parce qu’il a le goût très sûr et très sensible. D’ailleurs, son Musset, comme son Molière, il l’a soigneusement préparé, n’épargnant pas les recherches utiles, consultant les historiens et les anecdotiers. Il sait que nous ne pouvons lire un poète de 1830 comme nous lirions un de nos contemporains. Pour le juger, ce poète, nous devons le considérer dans son temps ; pour le juger, et pour le comprendre. Mais, l’œuvre d’un Musset, toujours vivante, M. Donnay ne la traite pas non plus comme un document d’histoire : il n’oublie pas de l’aimer. Du renseignement précis et rigoureux à la simple admiration, il va et vient, sans difficulté, avec un abandon gracieux. Et il plaisante, et il s’amuse. S’il est ému, il le dit : et il ne le dirait pas, on le sentirait, à ses phrases qui tremblent. S’il n’est pas ému, il le dit : et le badinage remplace l’émotion, le badinage souvent le plus comique. Le roman de Musset, George Sand et Pagello, ne l’émeut pas du commencement à la fin. Et il écrit : « Musset, George Sand, Pagello, je les imagine dans une voiture à laquelle est attelé un jeune cheval, animal ardent et ombrageux. C’est George Sand qui conduit. A un moment, dans une pente, le cheval s’emporte. Pagello, lui, saute : il n’a pas de nerfs, il tombe avec élasticité, se ramasse et s’enfuit. En bas de la côte, le cheval s’abat,