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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/199

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la voiture est brisée. George est meurtrie : rien de grave ; une autre fois, elle remontera eh voiture. Mais, chez Musset, il y a des lésions internes, quelque chose de cassé, il ne remontera plus. » A l’époque du romantisme, on a dessiné de ces caricatures où le char de l’État, le chariot de Thespis, diverses calèches et guimbardes portent triomphalement et, parfois, laissent dégringoler leur charge illustre… Un beau vers : et M. Donnay ne plaisante plus.


O mon unique amour, que vous avais-je fait ?


« Quel vers admirable, et si simple ! Il n’y a pas un amant abandonné, trahi, qui ne l’ait jetée, cette interrogation, sous une forme ou sous une autre ; mais ceux qui ont lu Musset ne peuvent que répéter ce vers-là… » Plus de coquetterie !… En général, il réunit un peu d’ironie, un peu d’attendrissement, de sorte que l’ironie soit une façon de ne pas montrer, de laisser voir l’attendrissement.

Dès la première annonce de ces conférences, ce ne fut, pour ainsi parler, qu’un cri, dans Paris où les cris se confondent : Donnay et Musset, les deux poètes de l’amour ; et Donnay, notre Musset. L’on ne pensait qu’à Musset le poète, non à Musset le libertin : quand on crie, l’on ne saurait penser à tout. M. Donnay ne ressemble pas à Musset ; et il n’a point à en souffrir, étant un autre poète. « L’on a fait, dit-il, tant de rapprochemens entre le théâtre de Marivaux et celui de Musset que c’est ici la place d’en faire les éloignemens.., » Les éloignemens qu’on hasarderait volontiers entre le poète des Nuits et le poète d’Amans, qui ne les devine ? D’abord, le véritable héros de Musset, Don Juan, M. Donnay ne peut pas le souffrir. Il l’a traité de « candidat à la paralysie générale. »

Le Don Juan de Musset, le Don Juan des romantiques, est un poète, un ange, un « Christ. » Sur les listes de ses victimes, il y a des princesses et aussi des maritornes. Voleur aux carrefours, laquais pour une chambrière, il séjourne dans les tavernes et, l’âme sœur, il la quête jusque dans les bouges. Quel idéaliste, pourtant ! Il cherche une perle. Sa perle : un être, dit Musset, « impossible et qui n’existe pas. » Sa perle, dit Théophile Gautier, ce serait un composé delà reine Cléopâtre et de la sainte Vierge. Alors, peut-être ce Don Juan n’est-il, en effet, qu’un maniaque. Ou un niais ? Son insupportable fatuité, la bassesse de ses goûts, son arrogante sottise ont quelque chose de désobligeant. Mais il a enchanté les romantiques. Musset, dans la Confession, raconte qu’il y eut, après la débâcle impériale, trois sortes de jeunes hommes : libertins, employés et