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lui pardonne pas : « Don Juan me fait l’effet de ces touristes pressés qui visitent l’Italie entre deux trains… C’est pour eux que Bœdeker a écrit cet admirable titre de chapitre : Venise en quatre jours ! Ainsi Don Juan connaît les femmes. Il passe. Pauvre Don Juan ! C’est un coq et c’est un Cook. Il chante sa victoire comme l’oiseau de nos basses-cours, en se dressant sur ses ergots et en battant des ailes. Il ne connaît que la victoire ; il ne connaît pas la défaite… Il peut avoir des sens étonnans et même un cerveau : il n’a pas de cœur ; il n’est pas un amant. »

Mais, Don Juan, c’est le romantisme de l’amour. M. Donnay a-t-il horreur du romantisme ? Non ; et, plutôt, il le défendrait. Le romantisme, dit-on, c’est le triomphe du moi. Eh bien ! (répond M. Donnay) « un auteur, s’il a une personnalité, n’est jamais absent de son œuvre. » Molière est dans son chef-d’œuvre, le Misanthrope ; Racine est dans Phèdre ; et l’on peut regretter « qu’un tel poète n’ait pas écrit des œuvres franchement individualistes. » Quant au « mal romantique, » il a existé de tout temps ; M. Donnay trouve du romantisme dans l’histoire grecque et la romaine ; il en trouve dans la Bible ; et il en trouve dans la nature. Le romantisme dans la vie, c’est le sentiment qui « submerge l’activité raisonnée : » mais il faut que le sentiment submerge « quelquefois » l’activité raisonnée. Au surplus, ce ne sont pas les doctrines littéraires ou autres des romantiques qui détourneront M. Donnay d’aimer ou de n’aimer guère un poème d’eux.


La véritable poésie de Musset date de 1833 : année illustre, un historien du romantisme l’a remarqué. En 1833, Hugo se lie avec Juliette Drouet ; en 1833, Sainte-Beuve s’éprend de Mme Hugo ; en 1833, Vigny devient l’amant de Mme Dorval ; en 1833, Musset part pour Venise avec George Sand. Jusque-là, les poètes du Cénacle bornaient leur entreprise à la réforme de la poésie. L’année 1833 les vit battre la campagne ; le romantisme passa de la littérature dans la vie, où il fit des ravages. Nos poètes s’aperçurent qu’ils avaient inventé une morale. Ils en profitèrent : leur morale supprimait les empêchemens que l’autre morale oppose aux divers caprices de l’instinct.

Avant 1833, les poésies de Musset valent surtout par l’entrain gai. En 1828 et 29, 1e romantisme était une école jeune. Son chef n’avait guère dépassé vingt-cinq ans. Parmi les romantiques, Musset est le plus jeune, par l’âge et par le génie. Qu’emprunte-t-il au romantisme ? Tout ce qui est jeune ; le reste, non. Ce qui le tente, c’est la liberté