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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/202

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que revendiquent les novateurs. Liberté du sujet : il va écrire la Ballade à la lune, où l’on voit l’astre clair des nuits complice de polissonnerie. Liberté du rythme. Et même, liberté de la rime : parmi les révoltés, il se révolte contre la révolte. Et voilà bien de la jeunesse ! Mais il invente ceci : le naturel… ce n’est pas tout : le naturel dans le romantisme. Les autres sont guindés, éloquens, fastueux. Lui, sa trouvaille de jeune homme, trouvaille ravissante, c’est le lyrisme familier. Ce qu’il y a de suranné, dans les Premières poésies, c’est exactement le romantisme : dans Don Paez, un abus de la couleur et du pittoresque, une Espagne trop rutilante et mordorée, une gaillardise mutile, un ton fringant pour énoncer des opinions modestes, une vaine tentative de dissimuler sous les largesses du vocabulaire la pauvreté de la méditation. Surannée aussi, la romance ; mais elle, surannée bien joliment. Il faut se la figurer chantée, sur la musique de Monpou, par des jeunes femmes en robes de soie à treize volans, par des jeunes femmes qui s’appelaient Malvina, qui volontiers jouaient de la guitare et qui avaient l’âme rêveuse. A la lueur des bougies nombreuses dans les candélabres comme, au ciel d’Italie, les étoiles, elles chantaient d’une voix tremblante et chaude. Miss Smolen, nous la voyons, en lithographie, sur la couverture d’un cahier de romances. Elle a, sur les épaules, une écharpe ; mais l’écharpe glisse des épaules. Elle a, autour d’elle, le clair de lune parmi des nuages fins. Ajoutons, dans le paysage de la petite chanteuse, un monument très gothique, avec des clochetons, des fenêtres lancéolées et des vitraux où meurt le déclin du jour.

Les Premières poésies sont pauvres d’idées, — peu importe ; — et pauvres de sentimens. L’amour même y est futile : un tout petit sentiment. Après 1833, après Mme Sand, tout a changé. Le ton n’est plus le même. Le jeune Musset bondissait vers la vie. Il a suffi de peu de temps pour que l’expérience le déçût. Son voyage, ce ne fut pas seulement l’Adriatique et les lagunes, mais la vie. Il partait avec sa maîtresse ; et il croyait que toute la vie serait une heureuse promenade d’amour. Il n’eut pas la précaution de penser à autre chose, pour le cas où l’amour, en chemin, l’abandonnerait. Il ne s’était muni que d’amour : et l’amour, en chemin, l’abandonna.

Cette péripétie principale de son génie date de sa vingt-quatrième année. Il est mort à quarante-sept ans. Mais, après le Souvenir, qui est de ses trente et un ans, il n’a presque plus écrit de vers. Ne lui sembla-t-il pas que la poésie lui était morte dans les doigts, le jour que lui était mort dans le cœur son rêve de l’amour ? A quoi bon