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où nous entendons ceci, qui n’est pas ordinaire aujourd’hui, que tout de suite, sans embarras ni recherche vaine, le musicien nous met en présence de figures sonores arrêtées et saisissables, d’un plan qui se dessine, d’un ordre qui s’annonce et s’organise. Encore une fois, rien n’est aussi rare, en un temps où les occasions ne manqueraient point de définir la musique : quelque chose qui ne commencé pas, qui ne finit pas, mais qui dure. La Fille de Roland, au contraire, débute avec décision, avec franchise, sinon par une fugue, au moins par un fugato bien construit, bien conduit, qui remplit toute l’introduction et forme, au seuil du drame, un noble péristyle de musique pure. « Ce que je sais le mieux,  » dit l’autre, « c’est mon commencement. » Il n’est rien que la plupart de nos musiciens modernes sachent aussi mal. Une fois « partis,  » ils s’en tirent encore, à peu près. Mais quelle peine ils ont à « partir ! » Eh bien ! ouvrez seulement la Fille de Roland, et vous comprendrez ce qui s’appelle, en musique, un « départ. » À ce début très ferme, très fier, plus d’un vigoureux « ensemble » s’ajuste solidement. Les parties chorales de l’œuvre sont presque toutes excellentes. La musique s’y développe à l’aise, avec une ampleur où jamais cependant l’action ne se perd ou ne se noie. La première entrée de Gérald est belle d’éclat héroïque. Aussi bien, les fanfares ou sonneries, commandées çà et là par la nature du sujet, échappent en général à la vulgarité comme à l’insignifiance, ordinaire et double écueil du genre. Telle scène avec chœur (les remords d’Amaury-Ganelon) trahit un musicien qui se souvient de Méhul, du Méhul de Joseph, et de Siméon, en proie lui-même au repentir. L’œuvre entière abonde en passages que le président de Brosses » n’eût pas manqué d’appeler des « endroits forts. » Oui, la force, une force qui se soutient et largement se donne carrière, voilà la marque éminente de cette musique. La grâce, la tendresse y est plus rare, bien que le charme et l’élégance mélodique ne fasse pas défaut à certains passages du rôle de Berthe.

Mais ce que nous aimons surtout à relire, et ce qu’il nous plairait encore davantage qu’une reprise de l’ouvrage nous permît d’entendre et devoir, c’est le troisième acte. Il forme une suite de scènes vraiment belles, d’une robuste, noble, et par momens émouvante beauté. Le lieu de l’action est le palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle. L’action consiste dans le combat et la victoire de Gérald, reprenant au Sarrasin, qui depuis Roncevaux la gardait captive, l’épée de Roland, Durandal ; puis, dans la découverte, par l’empereur Charles, de Ganelon, le traître, en la personne du faux comte Amaury, père du