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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/223

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jeune vainqueur. Ce troisième acte, comme les autres, peut-être encore davantage, accorde une large place aux chœurs, mais à des chœurs dramatiques, j’entends qui participent au drame et, loin de le ralentir, le suivent ou le précipitent. Et puis, et surtout, ils confèrent à la partition de M. Rabaud une valeur, trop rare aujourd’hui, de pure musique. Ils soutiennent l’ouvrage, ils en enrichissent le fond et comme la substance même. Plus d’une fois, quand on lit et, j’imagine aussi, quand on écoute la Fille de Roland ; on se félicite qu’un bon musicien, .disposant d’un orchestre et de voix, en profite pour se donner le temps et le plaisir de faire vraiment de la musique.

Parmi les personnages, ou les caractères, de la Fille de Roland, il semble que le plus considérable, celui de Charlemagne, soit aussi le mieux tracé. Dans le troisième acte, il ne se montre pas inégal à des chœurs, à des ensembles sous lesquels il risquait d’être écrasé. Majestueuse, austère même le plus souvent, la figure musicale s’élève un moment jusqu’au plus haut degré du lyrisme. Pour exprimer, au début de l’acte, l’accablement du vieil Empereur courbé sous le poids des ans, de la douleur, de la honte aussi que renouvelle chaque jour l’insolent défi du païen, M. Rabaud a trouvé de beaux rythmes, tristes et lents, de mornes cantilènes d’orchestre, où la voix de basse ajoute çà et là des notes et comme des touches non moins sombres. C’est la partie du rôle qu’on peut appeler contemplative. Elle ne traîne pas, mais elle se développe avec ampleur. L’idée musicale y suit un large et libre cours. De même, à la fin de l’acte, après la reconnaissance de Ganelon, Charlemagne tombera dans une seconde méditation, plus grave et plus intense encore. Ici comme toujours la musique prendra son temps, elle se déploiera sans hâte, elle descendra pour ainsi dire par degrés jusqu’au fond de l’âme, qu’elle explore, qu’elle fouille, afin de l’exprimer tout entière. Elle sera lente, sans être longue. Elle cheminera comme pas à pas, avec cette allure, cette dignité pensive, que Sébastien Bach a donnée à quelques-uns, qui sont parmi les plus sévères et non les moins beaux, de ses chants.

Musique, avons-nous dit, contemplative, ou, comme diraient les pédans, statique. Ils ne manqueraient pas d’appeler dynamique, en ce même rôle de Charlemagne, un autre passage, ou plutôt un émouvant et magnifique éclat. Gérald a tué le Sarrasin. « Ah ! Gérald est vainqueur ! » Vous rappelez-vous, sur ces mots, au Théâtre-Français naguère, l’admirable cri de Mme Sarah Bernhardt ! Gérald est vainqueur, et Berthe, qui de sa fenêtre a suivi le combat, annonce la victoire au vieil Empereur. C’est bien ici l’un de ces « endroits forts » dont parle de Brosses.