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ignorer que M. Combes était un adversaire irréductible de la loi de trois ans. Ces mêmes hommes qui ont renversé M. Ribot à cause de ses opinions passées, méprisent donc assez leurs amis pour croire qu’ils sont tout prêts à changer les leurs lorsqu’on leur tend l’appât d’un portefeuille. Rendons à M. Combes la justice qu’il n’est pas l’homme de ces palinodies. Si M. Viviani a obtenu aisément le concours de M. Augagneur, M. Combes lui a refusé le sien et, dans une note communiquée à la presse, il a fait connaître le motif de son refus, à savoir sa fidélité au programme de Pau, qui a condamné le service de trois ans. C’est un immense service que M. Combes a rendu à M. Viviani. Nous devons croire que celui-ci ne transigera pas sur le service de trois ans, puisque M. Combes en a eu l’impression si nette. Il n’est peut-être pas très important que M. Augagneur ait accepté un portefeuille, mais il l’est que M. Combes en ait refusé un. À partir de ce moment, nous avons été convaincus que, quel qu’ait été son propre passé et bien qu’il ait voté autrefois contre la loi militaire, M. Viviani la défendrait désormais, et il l’a effectivement défendue avec force. Sans doute il a laissé aux adversaires de la loi une espérance pour un avenir lointain. Quand l’Allemagne désarmera ; quand les pasteurs de peuples auront renoncé à l’épée à la pointe bien aiguisée pour prendre une houlette enrubannée ; quand la paix sera assurée pour longtemps, pour toujours, nous pourrons abréger la durée du service militaire. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment. M. Viviani a compris ses obligations actuelles. On ne saurait lui savoir un trop grand gré de sa déclaration que, s’il était encore ministre en 1915, il ne libérerait pas la classe de 1913, c’est-à-dire celle qui aurait fait deux ans.

Il lui sera beaucoup pardonné pour cette parole. Déjà les adversaires de la loi faisaient courir le bruit qu’elle ne serait pas appliquée et répandaient dans les casernes la promesse d’une libération anticipée. Rien n’était plus dangereux, plus pernicieux que cette propagande : il l’est toujours de donner aux hommes des espérances qui ne doivent pas se réaliser. La déception engendre des révoltes : nous en avons vu des exemples récens. M. Viviani a donc fait acte d’homme de gouvernement en parlant comme il l’a fait. Il a donné un gage personnel au maintien de la loi de trois ans et, du coup, il a acquis en Europe une autorité qui lui manquait jusque-là. Si la confiance qu’on avait en nous à Saint-Pétersbourg et à Londres avait été un peu ébranlée dans ces derniers temps, elle a été raffermie à la fin de la séance où M. Viviani, ayant fait ses fermes déclarations, a eu